- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Les solos et rituels funéraires de Jan Fabre

Le chorégraphe et plasticien a composé pour ses interprètes fétiches des solos intenses et mystérieux, véritables rites de passage entre la vie et la mort. 

, aujourd'hui davantage plasticien que chorégraphe, a un sens aigu de l'image. Avec quelques effets ou quelques accessoires, il crée une vision, un univers scénique. Dans Attends, attends, attends… (pour mon père) écrit pour le danseur Cédric Charron, il lui suffit d'une machine à fumée et d'une puissante extraction pour évoquer le Styx et celui qui faisait traverser les morts : Charron. En costume et haut chapeau rouge, le danseur se cambre à l'extrême en appuyant sur son bâton, geste auguste du batelier d'outre-tombe. Cette vision est le support d'un monologue en français sur le passage de la lumière à l'ombre, mais aussi une adresse au père de l'interprète. Le regard halluciné du danseur, son physique dégingandé provoquent un effet d'outre-tombe et une assimilation parfaite de Cédric Charron au personnage qu'il est devenu.

Dans un deuxième solo, Preparatio mortis, écrit pour Annabelle Chambon et créé pour la première fois au Festival d'Avignon en 2010, poursuit l'exploration des rituels mortuaires. Là encore, la vision plasticienne prend le dessus sur l'inventivité chorégraphique. Jan Fabre s'est inspiré de la peinture flamande du Siècle d'Or pour construire un décor baroque et somptueux, bâti autour d'un tombeau de verre. Dès l'entrée dans la salle, l'odeur douceâtre des brassées de fleurs répandues sur la scène prend les narines. Le spectacle commence dans l'obscurité, sur une composition pour orgue exécutée et enregistrée par Bernard Foccroule, actuel directeur du Festival d'Aix-en-Provence. Sa pièce renvoie aux musiques funéraires, requiem et tombeaux qui émaillent l'histoire de la musique.

Comme une chenille construisant sa chrysalide, un tapis de fleur ondule dans une lumière sépulcrale. Un bras, une jambe, un visage sortent de cette gerbe géante, ceux d'Annabelle Chambon, danseuse musclée dont on ne sait si elle est passée de vie à trépas ou l'inverse. Dans un corps à corps de plus en plus acharné avec les fleurs qui l'entourent, elle livre un combat sensuel entre souffrance et plaisir. La dernière partie du solo la retrouve dans le cocon du tombeau vitré, où elle semble flotter comme dans un liquide amniotique. Puissante, fascinante, cette pièce nous renvoie aux figures d'Ophélie dans Hamlet, mais aussi de Blanche-Neige dans son cercueil de verre. Des visions de la féminité aux antipodes de celle qu'incarne Annabelle Chambon.

Photos : Preparatio mortis © Pascal Gely; Attends, attends, attends © Wonge Bergmann

(Visited 706 times, 1 visits today)