- ResMusica - https://www.resmusica.com -

L’énergie à l’œuvre avec le Quatuor Tana

Vivre pleinement l'aventure de la saturation, c'est le défi que se lance le dans son premier CD qui tient lieu de manifeste ; parce qu'il réunit autour du quatuor à cordes les trois figures de proue – , et – qui œuvrent depuis quelques dix ans déjà au sein du phénomène sonore saturé.

Voué cordes et âme au courant de la saturation, le a travaillé en étroite collaboration avec les compositeurs. Les quatre pièces de cet enregistrement réclament une posture particulière des instrumentistes confrontés à une écriture qui transgresse très largement les limites du jeu traditionnel sur les cordes : son écrasé par la pression de l'archet, granulation, mouvement circulaire de l'archet sur la corde, glissades d'harmoniques, percussions sur le bois… sont autant de modes de jeu engageant la saturation du son et l'énergie du geste des interprètes. Dans son deuxième quatuor à cordes, crescent scratches, qu'il dédie à son ami , nous persuade que le son saturé n'est pas toujours dans l'excès de la distorsion et qu'il peut être ductile voire soyeux et consentir à une certaine sensualité du timbre. C'est ainsi que nous le révèle le , aussi précis dans l'articulation rythmique qu'efficace dans le rendu sonore.

De plus grande envergure, avec son mouvement lent central, In Vivo de met à l'œuvre de nombreuses techniques de jeu et d'écriture pour agir sur la qualité du matériau saturé (son granulaire) et sur l'épaisseur de la texture (contrepoint saturé). Les cordes sont « préparées » par une feuille d'aluminium placée sur le chevalet dans le premier mouvement. Toute virtuosité cessante, la partie lente nous invite à la perception d'une matière entendue « à l'état pur » (infra-saturation) tandis que le troisième mouvement l'a fait voler en éclats de manière spectaculaire.

Les Tana ont fabriqué un « archet-guero » pour Substances, le second quatuor de Cendo qui leur est dédié. La baguette de ce prototype est ici striée pour obtenir une meilleure qualité granulaire de la sonorité. Poussant à l'excès l'énergie du geste, le compositeur exige une hyper virtuosité des archets qui frottent, grattent, rebondissent, raclent, tournent, tapent, « trémolent » pour projeter autant de particules d'une matière inouïe qui n'excède pourtant jamais la nuance piano. L'écoute est constamment sollicitée par l'extraordinaire palette sonore induite par la multiplicité des modes de jeu.

C'est la plasticité de la matière et la richesse polyphonique qui prévalent dans l'étonnant Tracés d'ombres (dédié à ) de , la pièce la plus ancienne de cet album (2007). Le compositeur laisse, quant à lui, une place au silence dans cette partition en trois mouvements enchaînés dont les titres expressifs ne sont pas sans rappeler la Suite lyrique de Berg. C'est la mise en tension d'un matériau fragile et d'une forte détermination dans sa conduite qui fait naître l'émotion dans les deux premiers mouvements. Soumis à une brusque accélération dans la dernière partie, la matière se gorge de vitalité et ravive ses couleurs au sein d'une écriture virtuose et étonnement complexe. La performance des quatre interprètes associant technicité vertigineuse, précision de l'articulation et engagement hors norme du geste, confine à l'exaltation.

 

(Visited 658 times, 1 visits today)