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L’altiste Giuseppe Russo Rossi, un philosophe à La Scala

Jeune altiste talentueux, est le benjamin de l'Orchestra del Teatro alla Scala de Milan. Né dans une famille de musiciens, il mène sa carrière musicale entre l'univers de l'opéra, les salles de concerts du monde entier et un Master en philosophie. Toujours utile, pour garder du recul et prendre avec philosophie la vie au sein du théâtre milanais.

« Le violoniste a toujours été mon modèle. »

ResMusica : Giuseppe votre (jeune) vie a été jusqu'à ce jour bercée par  la musique. Parlez-nous de votre parcours.

: Originaire des Pouilles, je baigne en effet dans l'univers musical depuis ma plus tendre enfance. Mes deux parents étaient tous les deux chanteurs d'opéra à Bari. J'ai appris mon premier solfège avec ma mère sur l'immanquable piano de la maison. J'ai eu beaucoup de chance d'être encouragé par ma famille tout au long de ma carrière. Le moment décisif a été mon inscription au Conservatorio Piccinni de Bari ; à partir de là ma carrière musicale n'a été qu'une succession d'académies musicales tout autour de l'Europe, de représentations dans les salles des plus grands théâtres à travers le monde jusqu'à arriver aujourd'hui à mon quotidien au Teatro alla Scala.

RM : Tout au long de votre parcours, avez-vous eu un modèle particulier qui vous a guidé et auquel vous faites référence ?

GRR : Le violoniste a toujours été mon modèle ; il existe de nombreux solistes pour lesquels j'ai une grande admiration, mais Oïstrakh est celui qui pour moi a poussé le plus loin la maîtrise de la technique de l'instrument. Il était capable de conjuguer comme nul autre l'élégance et le raffinement d'un Apollon à la sensualité d'un Dionysos. Il jouait de manière si intense que l'on aurait dit qu'il parlait à travers son instrument.

RM : Vous avez fréquenté les plus prestigieuses académies de musique d'Europe, quel a été le moment clé de votre carrière qui vous a fait comprendre qu'un grand avenir pourrait vous attendre ?

GRR : Justement, la rencontre avec , le fils de David, à la Haute École de Musique de Sion. La phraséologie de sa musique m'a rappelé celle de son père ; j'en ai été totalement fasciné et j'ai décidé que j'irai jusqu'au bout pour tenter d'atteindre un tel niveau de perfection.

RM : Vous avez passé l'audition pour le concours d'entrée dans l'Orchestre de la Scala en 2009 : ce ne fut certainement pas simple ?

GRR : En effet, c'est le moins que l'on puisse dire ! Nous étions 160 candidats pour deux places. Les auditions ont duré une semaine entière, avec deux épreuves éliminatoires, une demi-finale et la finale avec parmi les membres du jury. J'étais en quelque sorte préparé à affronter un concours de ce niveau et à garder les nerfs solides, mais la tension de dernière minute est énorme.

RM : Et quels sont les morceaux que vous avez joués alors ?

GRR : Une sonate de Brahms, un capriccio de Campagnoli, un concerto de Hindemith et plusieurs autres extraits orchestraux.

RM : Qu'est ce qui est le plus impressionnant à la Scala ?  Comment parvenir à maîtriser l'acoustique de cette salle légendaire ?

GRR : L'architecture de la Scala dégage à elle seule un magnétisme incroyable. L'éclat du velours rouge, le scintillement du lampadaire de cristal, l'écoulement rythmé des heures à l'horloge au-dessus de la scène… Sans mentionner le fait que se produire avec des personnalités de l'envergure de Chailly, Chung ou Gergiev donne une énergie électrisante. Il y a une sorte « d'élan musical » qui emplit la salle et qui vous imprègne. Une légende de coulisses veut que le fantôme de Toscanini veille sur les musiciens de l'orchestre …

RM : Un conseil particulièrement précieux appris à la Scala, que vous souhaiteriez partager ?

GRR : Barenboim a toujours poussé son orchestre à travailler tout particulièrement sur l'intensité des nuances, pour que le son résonne de manière parfaite dans tout l'ensemble de l'hémicycle de la Scala. Restituer parfaitement la dynamique de l'œuvre sur la base du temps prescrit par le compositeur, en mesurant chaque touche de son archet sur les cordes.

RM : Et que dites-vous de la confrontation avec les autres membres de l'orchestre ?

GRR : Parmi les membres de l'orchestre de la Scala, la moyenne d'âge tourne autour des 45-50 ans.  Du coup je suis l'un des trois musiciens les plus jeunes, regardé sympathiquement par tous les autres un peu comme leur mascotte. De toute manière parmi nous, l'ambiance est fort sympathique et j'écoute toujours avec émerveillement les témoignages des plus anciens qui me racontent leur vécu avec de grands directeurs aujourd'hui disparus que j'aurais aimé connaître, comme par exemple.

RM : Vous vous êtes également beaucoup produit en-dehors de la scène de la Scala, quels sont vos projets ?

GRR : En effet, à ce jour j'ai joué en tant que soliste sur des scènes du monde entier, au Carnegie Hall, au Lincoln Center, à l'Auditorium de Boston, au Center of Performing Arts de Pékin, sur plusieurs radios italiennes et étrangères et d'autres encore, autant d'expériences uniques et constructives. Pourtant aujourd'hui avec quelques collègues, je mène un projet qui me tient très à cœur : récolter des fonds pour une association d'enfants handicapés, en jouant au Teatro San Rocco de Voghera en Ligurie. Une activité destinée à se prolonger pendant l'été lors d'une série d'ateliers musicaux où les plus petits joueront avec différents musiciens. Au programme : La Truite de Schubert, La Musique nocturne dans les rues de Madrid de Boccherini et La symphonie des jouets de Haydn.

RM : Et vos autres ambitions autour de la musique ?

GRR : Ne vous étonnez pas si je vous dis que depuis quelques années j'ai entrepris des études de chant (je suis baryton). Pour l'instant je le fais purement en amateur mais j'aimerais tant arriver à chanter à un niveau professionnel et à percer également en tant que chanteur. On dit d'ailleurs que mes manières de jouer et de chanter se ressemblent ; j'ai en effet une façon de jouer très « virtuose » et un timbre de voix très aéré.  Une fois j'ai eu la chance de chanter avec Elsa Blochwitz, une expérience inoubliable.

RM : En tant qu'altiste, quel est votre répertoire de prédilection ?

GRR : Fidèle à la tradition musicale de mon pays, je suis un adepte de Rossini et de Donizetti. J'ai particulièrement apprécié par exemple de jouer Don Pasquale à la Fenice de Venise, avec mon alto en solo. Mais aussi la transcription pour alto du Barbier de Séville et enfin les différents Quatuors à cordes de Schubert.

RM : Votre philosophie de vie (et dans le monde de la musique) ?

GRR : En paraphrasant Umberto Eco « maintenir l'émerveillement » pour continuer à m'imprégner du magnétisme des grands noms avec lesquels j'ai le privilège de travailler.

Crédits photographiques : © Oliviero Toscani

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