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Shakespeare intime avec Isabelle Druet

De l'important corpus musical inspiré par Shakespeare, , de retour du récent Rigoletto de Bastille, a tiré Shakespeare songs, un très original récital où la jeune mezzo dialogue avec le piano d' en état de grâce.

La Mort d'Ophélie, sublime (pléonasme ?) mélodie de Berlioz, donnée ici dans sa version originale de 1842 avant d'être orchestrée en 1848 pour chœur de femmes, sonne comme un condensé de l'art déjà consommé d' (on sait de quelles Nuits d'été elle est capable !) : prononciation à damner une Régine Crespin, haute maîtrise de l'ambitus (chuchotement compris), d'un timbre naturel et sans affectation, aucun son auquel ne soit donné un sens, bref l'art d'une diva discrète mais déjà sûre de ses effets, surfant sur tous les affects, de la déréliction au clin d'œil leste. est sur les mêmes sommets interprétatifs. Son piano produit un son clair et parfaitement délié, déroule un sous-texte faisant jeu égal avec la ligne vocale. Si la chanteuse fait manifestement ce qu'elle veut de sa voix, la pianiste fait ce qu'elle veut de ses doigts. L'évidence de leur complicité saute aux yeux comme aux oreilles.

Les deux artistes arrivent sur scène valise à la main, dont seront extraits quelques volumes (et flacons d'eau pour la traversée) où elles puiseront quelques vers énoncés à voix (té)nue. Si l'on saisit bien le ton censé être donné par cette adresse théâtrale, cette volonté de rendre au grand William, disparu il y a tout juste quatre siècles, ce qu'il a beaucoup donné, ces quelques échappées hors musique ne sont pas le meilleur d'une soirée haut de gamme autant qu'exigeante. La bête de scène que l'on sait pourtant être (on n'est pas près d'oublier les vingt minutes muettes et hilarantes de sa Junon dans le Prologue de certaine Platée à l'Opéra du Rhin) ne parvient pas à élever ces instants parlés au-delà d'une joute entre bonnes copines. En revanche il est fascinant de voir, dès que les notes reviennent, comment, avec toute la dramaturgie afférente, la musique prend possession du corps de la chanteuse. Le silence qui suit un air d'Isabelle Druet est encore du théâtre.

Le programme aligne des célébrités telles Brahms, Schubert, Sibelius, Rossini, Schumann, Wolf, Chausson, Saint-Saëns (avec une Mort d'Ophélie qui, sur le même poème de Legouvé que Berlioz, pointe l'adresse du génie), mais aussi des raretés : Castelnuovo-Tedesco, Gurney, Korngold. Dans les différentes langues énoncées par ces diverses nationalités, il est impossible de prendre la cantatrice multi-lingue en défaut. Des bis conclusifs, il convient de s'enthousiasmer pour un Ding dong bell délicieux de Poulenc en… anglais !

Si l'on peut souscrire, pour conclure, à quelques remarques post-concert, imaginant que cette soirée à la programmation audacieuse aurait probablement bénéficié, avec l'adjonction de sur-titres, d'un surcroît d'empathie du public avec la scène, on peut aussi craindre qu'ils eussent fait écran entre le spectateur et la très subtile palette de nuances visuelles du magnifique duo à l'œuvre.

Crédit photographique: Ewa Bochenski

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