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A la Scala, Ravel en provenance de Glyndebourne

Après 40 ans d'absence des plateaux scaligères, le Festival de Glyndebourne débarque à Milan avec la production de 2012 aussi féerique qu'ironique de L'heure espagnole – L'enfant et les sortilèges. Bercé par la baguette énergique de , le public milanais se prête au jeu du talentueux , se laissant entraîner à travers 2h15 de pure insouciance entre comédie et conte de fées.

Deux histoires différentes, deux livrets différents pour un seul univers musical, celui multiforme et rythmé de . Dans un premier temps on découvre avec curiosité les diatribes amoureuses d'une épouse facétieuse dans l'Espagne des toréadors, pour poursuivre ensuite par un beau conte de fée aux saveurs d'enfance.

Le rideau se lève sans empressement  à « L'Heure Espagnole » pour dévoiler une mise en scène qui tient du musée d'art contemporain. se plait ici à jouer avec les frontières du genre : un mur vertigineux qui n'est pas sans rappeler certaines installations de la Biennale de Venise, se dresse tout droit, recouvert d'objets farfelus, tandis que des dizaines d'horloges meublent l'autre partie de la scène. Dès lors que les chanteurs rentrent en scène un petit air d'Almodovar flâne dans l'air ; la frontière avec le cinéma n'est d'ailleurs jamais loin tout au long de la représentation.

Humour et ironie sont les vrais protagonistes d'une histoire dans laquelle les personnages eux-mêmes font preuve d'autodérision. Le « Je voudrais simplement vous demander de me tirer de cette boîte : Car, soit dit sans reproche, elle est un peu étroite » de Don Inigo, ou le « Voilà ce que j'appelle une femme charmante » de Ramiro, sont à deux doigts de décrocher le fous rire dans la salle. Les vocalises des chanteurs évoluent d'ailleurs sur des airs de comédie musicale ; une comédie d'où le formalisme des grands moments lyriques est absent pour rester sur le ton de la conversation, dans un style qui rappelle tout aussi bien les dialogues de l'opéra buffa. Sur le plan de la distribution, les voix justes et bien timbrées de Stéphanie D'Oustrac en Conception, de en Gonzalve et de en Don Inigo font merveille, autant par leur diction exemplaire que pour la musicalité de leur chant.

En conclusion, une lascive habanera minutieusement accompagnée par l'orchestre, laisse exploser la gaîté des personnages, qui « jettent le masque » et tous réunis sur scène, se congédient du public en tirant la morale de l'histoire.

Changement de décor, mais pas d'état d'esprit pour le délicieux L'Enfant et Les Sortilèges. Stéphanie D'Oustrac, cède la scène à une autre mezzo-soprano, , attendrissante en Enfant gâté.

L'harmonie élaborée du langage de Ravel trouve ici toute l'opportunité de s'exprimer dans une succession de scénettes, issues de la plume de Colette, l'une plus enchantée que l'autre. Toute aussi déroutante qu'au premier acte, la mise en scène nous entraine cette fois-ci dans le monde des contes de fées. Le décor plutôt dépouillé permet aux costumes et aux accessoires scéniques de foisonner. Immenses, le Fauteuil et la Bergère envahissent la scène, le Feu recouvre le plateau de son habit de flammes, la tapisserie des pastoureaux décore le plateau d'une pittoresque toile de Jouy. En même temps que l'Enfant, le spectateur est transporté dans une dimension onirique au charme certain.

L'univers féerique est merveilleusement bien rendu par les nuances ravéliennes qui traduisent chaque moment de la fantaisie par une écriture instrumentale colorée et raffinée. Capricieux, l'Enfant refuse de faire ses devoirs ; mécontent, il s'en prend non seulement à ses cahiers, mais aussi à la vaisselle et à la tapisserie de la maison. Mais voici que les objets prennent vie et chaque personnage s'appuie sur l'orchestre pour exprimer son ressentiment. La force du Feu est superbement rendue par les vocalises d' (« Arrière ! Je réchauffe les bons, mais je brule les méchants ! »), la souffrance de la Princesse est mise en mélodie par une flute très douce, le chagrin bucolique des pastoureaux trouve toute son expressivité dans le mariage entre la flûte, le tambour et hautbois, pour rejoindre le summum de l'émotion avec le lyrisme de l'Ecureuil triste (« Sais-tu ce qu'ils reflétaient, mes beaux yeux ? »). La logique orchestrale s'ébranle à l'improviste, au moment où le timbre sournois d'une contrebasse accompagne les amours des deux chats. Enfin la dernière scène du jardin dégage une énergie théâtrale puissante que Ravel lui-même aurait fort appréciée. Arbres, oiseaux, insectes et animaux sautillent de tous les côtés de la scène dans un méli-mélo frais, coloré et harmonieux. Le rideau tombe sur le profil de la Maman à la fenêtre, sur fond d'un rassurant quintette de hautbois.

Tout au long du spectacle, l'orchestre rend justice à la finesse du travail et laisse toute sa place au rêve. L'ironie sensuelle et le raffinement féerique du diptyque ravélien trouvent un interprète de poids dans la direction de Mark Minkowski, déjà familier du théâtre milanais. Il avait déjà séduit le public de la Scala avec son Lucio Silla de 2015, qui avait d'ailleurs déjà compté dans son casting , très applaudie par le public milanais. L'harmonie parfaite qui se dégage entre l'énergie de la direction musicale et le travail scénique de donne à l'ensemble un naturel irrésistible.

Crédits photographiques : L'heure espagnole ; L'Enfant et les sortilèges : © Brescia/Amisano – Teatro alla Scala

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