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Aux racines de l’opéra avec Philippe Jaroussky

La saison au Théâtre des Champs-Élysées se termine en apothéose avec le récital de chant du contre-ténor , accompagné par l'ensemble baroque Artaserse dont il est le directeur artistique. Nous avons dû patienter quelques jours pour savourer cette remarquable interprétation de l'art lyrique vénitien du XVIIe siècle, le concert ayant été reporté à cause d'une bronchite tenace de Jaroussky.

C'est que le chanteur nous a fait peur durant les dix premières minutes du concert ! Est-ce à cause de son absence prolongée sur scène que sa puissance vocale et sa projection étaient limitées au début du récital ? Heureusement, nous retrouvons très vite sa parfaite technique et sa pureté d'émission, l'une des caractéristiques les plus étonnantes de ce falsettiste. C'est un chant simplement beau et naturel, riche d'une qualité de phrasé, d'une diction nette et d'une évidence presque irréelle de la ligne de chant que nous livre Jaroussky. À l'image de ces admirables aigus en fin de phrases dans l'air « Adagiati, Poppea » (l'extrait de L'incoronazione di Poppea de Monteverdi n'était pas initialement prévu au programme), faibles en vibrato et de ce fait presque célestes, ces notes tenues très nuancées se meurent à travers une fin a capella qui les sublime. Ou à l'instar de cette fabuleuse aptitude à vocaliser notamment dans l'air « Sorge Anteo » de Steffani, où la virtuosité n'est seulement déployée que pour servir l'expression musicale.

Après les mélodies françaises abordées dans son disque Opium et la tournée en 2015 consacrée à Verlaine avec le pianiste et le Quatuor Ebène puis sa participation dans l'oratorio d'Haendel Theodora, nous sommes ravis de retrouver l'interprète dans un répertoire baroque italien qui semble mieux lui convenir. A travers un esprit vénitien pétillant et fort d'une poésie fondée sur des sujets perpétuels, nous entraîne dans les prémices de l'opéra seria avec le récitatif et l'air « Lucidissima face » extraits de La Calisto de Cavalli, digne successeur de Monteverdi encore trop peu connu aujourd'hui. L'évolution de l'opéra et sa propagation dans toute l'Europe composent également cette intelligente programmation musicale à travers notamment des extraits de l'Orfeo de Rossi remarqué à la cour de Paris, de La Statira de Cavalli, d'Il Tito et de Le disgrazie d'amore de Cesti. Le chanteur et l' transcendent toutes ces musiques. Leur interprétation d'une belle modernité permet à l'auditeur de pleinement se retrouver dans ces œuvres vieilles de plus de trois siècles. D'une théâtralité juste, le chanteur s'adresse directement au spectateur par des regards qui balaient toute la salle mais surtout par cet art d'orateur, capable de transformer le moindre texte en une véritable saynète tenant l'attention de l'auditoire et où chaque instrumentiste est pleinement acteur. Les violons, l'alto et le pupitre des cornets, debout derrière les autres musiciens, composent une présence scénique de l'ensemble dynamique et vivante, permettant au public de les accompagner plus facilement dans chaque phrasé et chaque nuance. Signalons l'excellent premier violon démontrant l'ampleur de son talent dans la sonate pour violon La Cesta, extrait de l'op. 3 n° 2 de Mealli. Aux percussions, se révèle également à travers un jeu plein d'énergie et de fougue dans Gelosia, lasciami in pace de Steffani.

Les trois rappels mettant à l'honneur Monterverdi, font ressurgir la sympathie et la personnalité attachante du contre-ténor. Décontracté et plein d'humour, c'est sous des applaudissements nourris qu'il prend dans les bras chaque musicien de cet excellent ensemble baroque.

Crédit photographique : © Marc Ribes

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