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Boris Berezovsky et Kit Armstrong au Festival de Musique de Menton

Le 67e Festival de Musique de Menton a accueilli du 30 juillet au 14 août nombre de pianistes de premier plan mais aussi de jeunes chambristes. L'occasion était belle de voir l'assurance d'une génération confirmée et l'émergence de ceux qui prendront le relève.

À 21 h 30, le 9 août, le jour n'est pas encore tombé. Le parvis de la très belle Basilique Saint-Michel Archange s'éclaire peu à peu. entre sur scène, pour un récital « hommage à Sviatoslav Richter ». En effet, celui-ci a fait ses débuts au Festival il y a tout juste 50 ans, avant de devenir un fidèle du parvis. La Sonate quasi-fantasia, Berezovsky la joue avec sa facilité technique habituelle et toujours impressionnante, notamment le dernier mouvement pris à une vitesse vertigineuse. Les Études d'exécution transcendante font partie de son programme du moment ; récemment en France, il les a jouées dans leur intégralité à la Grange de Meslay et à La Roque d'Anthéron. Ce soir-là, sa virtuosité prodigieuse et son lyrisme font certes entrevoir des moments étincelants et prodigieux, mais le pianiste paraît quelque peu fatigué. Arrivé à la fin de la première partie, il annonce au public qu'il ne jouera pas Le Chasse neige prévu, car ce n'est pas tout à fait la saison ! Le changement du programme au dernier moment, il en est coutumier et on l'accepte bien volontiers.

Après l'entracte, il annonce ainsi qu'au lieu de trois Sonates de Scarlatti, il interprètera six extraits des Pièces lyriques de Grieg, dont Papillon (op. 43-1), Marche des trolls (op. 54-3) et Jour de noces à Troldhaugen (op. 65-6). Il a ces miniatures poétiques dans les mains, les connaît sur le bout des doigts, tant il les a exécutées dans le monde entier. Ensuite, deux œuvres de Stravinsky, la rarissime Sonate en ut (1924) et les célébrissimes Trois mouvements de Petrouchka. Les premier et troisième mouvements de la Sonate sont traversés par une forte pulsion rythmique tandis que le deuxième conjugue un classicisme formel avec des ornements d'esprit à la fois baroque et jazzy. L'interprétation de Berezovsky est solide, sans trop d'exaltation mais avec beaucoup de constance. La pulsion rythmique se trouve aussi dans Petrouchka mais de façon plus vivace et plus ostentatoire, et le contraste sur lequel insiste notre musicien est extrêmement intéressant. Il a clôturé la soirée avec une Sonate de Scarlatti et deux Études de Chopin, op. 10 n°1 en ut majeur et n°3 en mi majeur.

Le lendemain, en fin d'après-midi, un jeune pianiste de 23 ans, , fait montre de sa maturité tant dans la construction du programme que pour son interprétation. Élève d'Alfred Brendel, il semble avoir hérité de son maître l'art d'une réflexion profonde sur chaque œuvre, cherchant avant tout le lien logique qui justifiera de jouer telle œuvre avec telles autres. Le fait que le pianiste est également mathématicien influence-t-il son mode de réflexion ? Toujours est-il qu'il présente au public chaque pièce, ce qui ouvre à l'écoute encore plus attentive. Après les Variations de Haydn, il prend ainsi la parole pour expliquer que la Fantaisie de Mozart a été composée pour un piano mécanique, qu'elle exprime quelque chose au-delà des sentiments (car un instrument mécanique ne permet pas d'incarner les sentiments), et que la technique que Liszt a développée plus tard lui permet aujourd'hui de jouer une oeuvre qui dépassait les moyens digitaux de l'époque en raison de son écriture sur quatre portées. Le piano Bösendorfer, tout neuf, est bien apprivoisé par Armstrong, si bien qu'on ne sent pas cette dureté de sonorité que peut produire un instrument qui vient de sortir de fabrication.

Ensuite, trois pièces de Liszt, dont deux Méphisto-Valses, qu'il interprète de façon introspective, voire philosophique, sans aucune démonstration de virtuosité. Le tempo va de pair avec cette vision : il est assez retenu, comme pour mieux appréhender chacune des notes sur laquelle Armstrong met un poids. En bis, il interprète la transcription d'une polyphonie de William Byrd (1539/40-1623) dont il fait surgir merveilleusement chaque ligne. Comme si, tout au long de son récital, il était descendu dans le temps, puis qu'à la fin, il était de nouveau remonté dans le temps, bouclant ainsi une sorte de boucle.

Crédit photographiques © Varotto Patrick

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