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Podleś, Flórez, Peretyatko, trois stars à Pesaro

Cette année au Rossini Opera Festival de Pesaro, retour de la grande dans une reprise réussie de Ciro di Babylonia, et deux nouvelles mises en scène : Le Turc par et La Donna par Damiano Michieletto.

Un Ciro d'époque

Versatile, irisée, sombre, luisante, monstrueusement divine et émouvante, la voix monte des tripes et semble venue de l'océan du temps, jade, miel et chocolat. Une voix de trois octaves qui va du plus profond, charnelle, enveloppante, et s'élève jusqu'aux clartés les plus aigües. est la chanteuse des extrêmes. Elle se joue du bel canto rossinien, comme du baroque, et de la musique romantique, lieder ou mélodies russes. Son répertoire est universel. Elle reprend cette année son rôle dans Ciro in Babilonia, le premier des opéras seria de Rossini, représenté ici pour la première fois en 2012 (version parue en DVD en 2013). Ciro, roi de Perse, veut délivrer sa femme Amira et son fils Cambise, prisonniers du roi de Babylone, Baldassare. Il est emprisonné à son tour et condamné à mort, et c'est l'intervention prophétique de Daniel qui fera tomber les murs de sa prison. Inquiétude, tendresse, sanglots, rage. La longue cavatine du premier acte, « Ciro infelice », de la tristesse du « Misero che farò senza la sposa ? » à l'« Alla vendetta…» furieuse, a produit une ovation qui a duré plus d'une minute. Même si elle semble fatiguée, peinant parfois à se déplacer, est une présence rare, et comme le dit Gianfranco Mariotti, « Elle chante comme un ange ! » On se demande pourquoi, alors, elle n'est venue à Pesaro que cinq fois. À ses côtés Pretty Yende, qui reprend le rôle d'Amira, chanté par Jessica Pratt en 2012, même si elle est moins lumineuse, se révèle virtuose aussi, varie l'expression et ose même des coloratures électrisantes. Elle sera Lucia di Lammermoor en octobre à Bastille.

La mise en scène de David Livermore place l'intrigue dans le cinéma muet des années 20, les chanteurs traversant l'écran, comme dans la Rose pourpre du Caire de Woody Allen.

, l'un des grands ténors rossinien du moment, donne une lecture différente du rôle de Baldassare, plus autoritaire et plus fragile aussi. À leurs côtés, Alessandro Luciano (Arbace), Isabella Gaudi (Argene), Oleg Tsybulko (Zimri), Dmitri Phkaladze (le prophète Daniel), et le Chœur du Teatro Comunale de Bologne, dirigé par Andrea Faidutti, ensemble de véritables acteurs avec des personnalités distinctes et caractérisées, qui ont eux-aussi une parfaite qualité musicale.

Un festival de stars maison

Deux des trois stars qui chantent cette année pour la 38e édition du ROF à Pesaro y ont fait leurs débuts ! Juan Diego Flórez a chanté pour la première fois Corradino dans Matilde di Shabran, formidable prise de rôle, presque à pied levé, le 13 août 1996. Un immense défi vocal. Un concert spécial a marqué cet anniversaire, le 19 août.

Pour Olga Peretyatko, « C'était en mars 2006, lorsque j'ai passé une audition devant le Maestro Zedda, pour participer à l'Accademia Rossiniana, » raconte-t-elle. Elle a ensuite débuté au Festival, dans Il viaggio a Reims, en août, avec deux rôles (au lieu d'un) : Contessa di Folleville et Corinna, en alternance. Ont suivi Desdemona (Otello, 2007), Giulia (La scala di seta, 2009), Aldimira (Sigismondo, 2010) et Matilde di Shabran, en 2012. Des rôles rares ! Mais, comme le dit Gianfranco Mariotti, directeur du festival, « Personne ne vient ici pour le cachet. Les chanteurs qui viennent à Pesaro acceptent de chanter des œuvres hors répertoire, et il doivent étudier des rôles qu'ils ont peu de chances de rechanter, mais le festival leur donne une visibilité peut-être plus importante qu'ailleurs. »

« La recette du festival est d'associer des stars à de jeunes chanteurs », explique-t-il, «  grâce à l'Accademia, depuis longtemps déjà, la plupart des stars aussi sont nées au festival, ce qui produit un état d'esprit très particulier ici ! Même les collaborateurs les plus éloignés de la production artistique savent qu'ils participent à créer quelque chose de beau qui les dépasse.»

Les travaux philologiques de la Fondation Rossini ont permis d'exhumer de l'oubli de très nombreux opéras désormais joués partout. Cette année, aucune œuvre nouvelle, mais deux nouvelles mises en scène : Le Turc par , et La Donna par Damiano Michieletto.

Una Donna molto indecisa

La Donna del Lago nous transporte dans une villa victorienne bombardée, très loin de l'idée d'un lac, et ajoute aux deux personnages principaux, Lucia et Malcolm, leurs fantômes, vieillis et tristes : Lucia clairement ne s'est jamais remise d'avoir renoncé au prince, et son mari est mécontent de ne pas la satisfaire. Une bonne idée mais leur présence quasi constante obscurcit le récit et alourdit l'œuvre.

Subtilité du chant, pureté du style acrobatique, la voix effilée de coule avec fraîcheur, et incarne la perfection du chant rossinien. Son Uberto/Giacomo, qu'il enjolive à souhait, est un sommet. (ancien aussi de l'Accademia) et sont convaincants en Douglas et Malcolm, et , élève de l'Accademia l'an dernier, rayonne dans le rôle d'Elena. Michael Spyres est un Rodrigo parfaitement brutal, une force de la nature avec une voix souple qui va de la profondeur du baryton grave au ténor.

, qui a grandit en écoutant les répétitions du festival et connaît tout Rossini par cœur, dirige avec légèreté et précision, modulant idéalement les voix de l'orchestre.

Il Turco in Italia

Le Turc en Italie de Livermore est une copie parfaite du film mythique de Huit et demi. « C'est le livret qui m'a suggéré cette approche, explique-t-il. L'histoire est semblable : Marcello Mastroianni cherche un sujet de film, comme Prosdocimo, un poète de Padoue, cherche un sujet de comédie. Ils rencontrent des personnages étranges qui vont progressivement leur donner l'histoire qu'il faut. J'ai voulu décalquer les scènes qui ont fait le succès du film et sont restées dans l'imagination du public. Avec les interprètes que j'avais, c'était facile ! Olga Peretyatko (Fiorilla) ressemble tout à fait à Claudia Cardinale, Pietro Spagnoli est un admirable Mastroianni. Même en Selim ressemble à Alberto Sordi dans le Sheikh blanc ! »

Le spectacle commence par un court dialogue où les chanteurs eux-mêmes représentent et introduisent le jeu du théâtre dans le théâtre. Tous les personnages de l'opéra seront alors une projection fantastique dans la tête de Prosdocimo, mais à un moment donné ils se rebellent, prétendant avoir leur propre vie, comme dans le film de Fellini !

Malgré une allergie qui a diminué ses capacités lors de la première et de la seconde représentations, Olga Peretyatko, très belle, et élégante dans des costumes conçus par le talentueux Gianluca Falaschi, a pu dans les deux dernières, retrouver son beau timbre, sa technique, et sa virtuosité habituelle.

est un divertissant Geronio, Pietro Spagnoli joue un Prosdocimo à lunettes et chapeau, portrait craché de Mastroianni, et , baryton vedette, est un Selim pétillant. , Narciso, est un chanteur doué mais un peu imprécis, et la mezzo Cecilia Molinari, Zaira barbue, (sortie aussi de l'Accademia), est charmante mais un peu décevante. Sur le podium, , jeune Romaine pour la première fois au ROF, qui avait déjà dirigé cet opéra en 2014, à la fin de ses études à la Juilliard School de New York, a su maintenir un cap clair dans toute cette folie.

L'opéra se termine par un air cumulant tous les traits de bravoure propres à Rossini, admirablement chanté ce jour-là par une Olga Peretyatko qui avait retrouvé tous ses moyens.

ROF 2017 et la suite

, 88 ans, ayant renoncé à la direction artistique du Rossini Opera Festival, l'arrivée pour le remplacer du ténor , expert du chant rossinien, donne bon espoir pour l'avenir du festival. Chanteur belcantiste pendant 26 ans, puis agent pendant 18, directeur artistique du Festival Alejandro Granda à Lima, il est maintenant au ROF. Interrogé par L'Ape musicale, Palacio annonce « que la ligne à suivre est celle des grands spectacles, avec de grands metteurs en scène… L'une des caractéristiques du festival est de s'appuyer sur la Fondation Rossini qui récupère et étudie les partitions, mais cela ne nous limite pas. Au contraire, rien n'est figé et nous présenterons l'an prochain, une nouvelle version du Siège de Corinthe dans une édition différente de celle de 2000. […] Je continuerai aussi le mélange des chanteurs, en ayant recours autant que possible à l'Accademia.

Il suffit de regarder le programme de cette année pour trouver de nombreux artistes qui en viennent : la Donna, Salomé Jicia, qui était à L'Accademia l'année dernière, et quelques autres, comme Cecilia Molinari, Ruth Iniesta, Isabel Gaudi, Matthew Macchioni et , qui avait déjà un rôle important l'an dernier. » Car le niveau des chanteurs qui viennent à l'Accademia ne cesse de s'améliorer ! Ce que confirme Gianfranco Mariotti : « Cette année nous avons entendu 285 chanteurs pour en choisir 18… et nous avons déjà engagé pour l'an prochain, Marina Monzo, qui chantait cette année la Comtesse de Folleville, dans le Voyage à Reims qui clôture traditionnellement les master classes de l'Accademia ! »

Crédits photographiques : © Studio Amati Bacciardi

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