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Les correspondances entre Saint-Saëns et Rouché ou l’art de mettre en appétit

Les Écrits sur la musique et les musiciens de ayant fait l'objet d'une publication exhaustive et parfaitement documentée par Marie-Gabrielle Soret fin 2012, il manque désormais une exploration complète de la très nombreuse correspondance du musicien.

Cet ouvrage porté notamment par le Palazzetto Bru Zane, est une première pierre à l'édifice qui, même si elle est une importante source d'informations, ne procure en réalité pour le lecteur que frustrations.

Le retour de Samson et Dalila sur la scène de l'Opéra Bastille après 25 ans d'absence place cette correspondance croisée entre Saint-Saëns et Jacques Rouché, ancien directeur de l'Opéra, au cœur de l'actualité lyrique. À travers ces écrits, c'est un musicien très affairé malgré ses 80 ans tout autant que combatif pour maintenir au répertoire ses opéras aujourd'hui presque oubliés comme Hélène ou Phryné, que nous découvrons. Du côté de Jacques Rouché, il reste difficile de cerner de quelle manière celui-ci accueillait cette forte personnalité et comment il gérait les exigences à peine cachées du compositeur, les échanges étant trop grandement déséquilibrés. Sur les 161 courriers qui composent l'ouvrage, seuls 36 – souvent très brefs – sont rédigés par le célèbre mécène.

Dans son introduction, Marie-Gabrielle Soret justifie ce constat par le fait que le directeur, voisin de Saint-Saëns lorsque celui-ci était à Paris, préférait lui rendre visite que lui écrire. De notre côté, nous concevons que sa fonction ne l'autorisait pas à formuler sur papier certaines négociations, mais son travail de dirigeant et les nombreuses difficultés qu'il rencontrera durant cette période troublée ne sont ainsi que trop brièvement évoqués.

Force est de constater qu'en ne se limitant qu'aux correspondances avec Rouché, le lecteur survole des éléments de contexte pourtant incontournables (la guerre ou les grèves à l'Opéra par exemple). Ce manque, Marie-Gabrielle Soret en a pleinement conscience et tente de le combler par l'intégration, mesurée mais indispensable, d'un grand nombre de confidences de Saint-Saëns auprès d'autres interlocuteurs. À un point tel qu'à de nombreux moments, les notes de bas de page de la conservatrice de la semblent fournir des informations bien plus riches que le corpus présenté.

Le peu de données extérieures sont ici trop souvent ramenées à ce qui semble être l'obsession du compositeur : faire jouer (correctement) ses œuvres. Ainsi, la suppression des loges sur la scène de l'Opéra « sera très profitable à Henry VIII surtout au 3ème acte où elle permettra de rapprocher le trône du roi, jusqu'ici trop éloigné du public. » Comme beaucoup d'artistes, Saint-Saëns apparaît autocentré jusqu'au point de susciter l'hilarité : « Je crois qu'un interprète jouant à mon idée jouera mieux. »

L'analyse de Saint-Saëns sur les chanteurs lyriques de l'époque (« Je viens de l'entendre [Mario Ancona] ! Belle voix, grand talent. Mais on ne sait pas dans quelle langue il chante. Il a d'abord chanté en italien et je n'ai pas distingué un mot ; il a ensuite chanté en français et je ne m'en suis aperçu qu'à la moitié du morceau. »), sur certaines œuvres du répertoire telles que Guillaume Tell, Aïda ou les Troyens (« Berlioz n'entendait rien au mécanisme des voix »), sur les chefs d'orchestre de son temps (« A Paris, nous avons des batteurs de mesure, tant chez vous qu'ailleurs ; entre la Furia italienne et rien, il y a de la marge ») ou sur la meilleure manière de représenter ses opéras (avec croquis à l'appui pour Ascanio) rendent naturellement cette publication attractive. Mais alors que la correspondance de avec ses éditeurs, Auguste et Jacques Durand, est en cours de préparation, nous préférons attendre une intégrale (comprenant également ses échanges avec le librettiste ainsi qu'avec le musicien ) pour s'assurer que notre curiosité sera pleinement assouvie.

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