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Polina, la BD de Bastien Vivès adaptée à l’écran par Angelin Preljocaj

passe derrière la caméra pour un récit de fiction, adapté du roman graphique de , Polina. Avec son épouse Valérie Müller, il signe un récit d'apprentissage en trois temps et dans trois univers chorégraphiques radicalement différents.

Sorti en 2012, Polina, le roman graphique de a rencontré un large succès public et critique : plus de 40 000 exemplaires vendus, un Grand Prix de la critique BD et un dBD Award. Cette bande-dessinée parue chez Casterman racontait le dur apprentissage d'une jeune danseuse classique russe, sous la coupe d'un mentor exigeant, dont elle s'affranchissait pour suivre de nouvelles aventures artistiques, mais en restant toujours dans l'univers académique.

Quatre années plus tard, et son épouse Valérie Müller coréalisent leur premier film de fiction, adapté de la bande-dessinée. Si la situation de départ est identique (Polina est élève du professeur Bojinski, qui la forme pour intégrer le Ballet du Bolchoï), le chorégraphe français a choisi de confronter la jeune danseuse à l'un de ses propres ballets (Blanche-Neige), qu'elle voit à l'occasion d'un festival de danse à Moscou, pour réorienter la carrière de Polina vers la danse contemporaine. D'Aix-en-Provence ou elle fait ses premières armes au Pavillon Noir, le siège du , sous la direction d'une chorégraphe incarnée par , à Anvers, où elle trouvera sa voie après des semaines de galère, le parcours initiatique se mue en un récit d'apprentissage qui emprunte à tous les genres.

Le film commence en effet comme un drame social. La famille de Polina est modeste et vit de petits trafics. Malgré ses moyens limités, elle permet à Polina de suivre sa vocation et de devenir danseuse. Un environnement social qui fait écho, selon , à celui de nombreux chorégraphes dont les parents n'étaient pas issus d'un milieu favorisé. Le Moscou de Polina et de sa famille est filmé dans des couleurs grises, ternes, hivernales, éclairé parfois par des moments de joie et de partage lumineux.
La dimension initiatique du film est particulièrement présente dans la relation entre l'élève et son professeur, Bojinski, incarné par le comédien Aleksei Guskov, que l'on a vu dans Le Concert de Radu Mihaileanu ou L'Idéal de Frédéric Beigbeder. Inquiétant, froid, colérique, il est raccord avec le personnage croqué par dans son roman graphique. Exigeant, il transforme son élève en future danseuse, sans jamais lui faire découvrir l'expérience de la scène, semble-t-il.

Ce n'est qu'à partir du moment où Polina s'échappe de Moscou, pour découvrir Aix et sa compagnie contemporaine, puis Anvers et ses bas-fonds, que le film devient véritablement un film de danse, avec des répétitions et des scènes filmées en situation réelle. Dans les studios du Pavillon Noir, on assiste à des auditions, à la transmission d'un duo mais aussi à la découverte par Polina de la vie dans une compagnie ou de la compétition au sein d'un couple. Angelin Preljocaj se montre là dans son élément, avec des mouvements de caméra amples, un regard généreux sur ses interprètes, en particulier – son alter ego à l'écran – et Anastasia Shevtosa, qui incarne Polina. Les deux réalisateurs appuient leur récit par de magnifiques paysages solaires filmés en Provence et par des scènes exclusivement nocturnes à Anvers.
Suivant un récit chronologique et linéaire, le film passe d'une atmosphère à l'autre de manière assez abrupte. La première moitié du film est entièrement tournée en russe, à Moscou. Les premiers mots de français sont introduits par un jeune élève de l'école du Bolchoï, camarade de Polina, incarné par Niels Schneider. Le comédien avait déjà approché l'univers du chorégraphe en jouant dans Retour à Berratham en 2015 sur la scène du Palais des Papes à Avignon, puis dans la tournée qui a suivi. Le jeune danseur veut passer une audition à Aix, Polina décide de le suivre. Le film perd alors tout réalisme. Sans ellipse, il ne dit rien du déracinement de Polina transplantée en Provence. Il n'explore pas les sentiments ambivalents de la jeune fille qui semble découvrir la concurrence et la préférence, alors qu'elle en était familière en Russie. Cette absence de dimension psychologique du personnage fait défaut tout au long du film. Elle est encore plus flagrante dans la partie filmée à Anvers où la descente aux enfers de la jeune femme ne sera stoppée que par l'intérêt que lui porte un danseur-éducateur incarné par , absolument parfait !

Un film à voir néanmoins pour les très beaux extraits de Blanche-Neige et les duos originaux signés Angelin Preljocaj, qui magnifie avec la caméra les mouvements qu'il a lui-même inventés.

Photos : © Carole Bethuel – Everybody on deck

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