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Le Mandarin Merveilleux et le Château de Barbe-Bleue en diptyque

Donnés dans un décor unique, les deux chefs d'œuvre de Bartók gagnent en unité thématique et en cohérence dramatique. La sublime orchestration du compositeur hongrois en ressort triomphante.

Excellente idée que de coupler le ballet de Le Mandarin merveilleux avec l'unique opéra du compositeur, Le Château de Barbe-Bleue. Même si les deux œuvres diffèrent radicalement en termes de genre et d'esprit, leurs contenus thématiques ne sont pas aussi dissemblables qu'on pourrait le penser. En effet, le harcèlement physique et moral subi par le Mandarin dans le ballet n'est pas sans rappeler l'inexorable questionnement du héros de l'opéra par une Judith au nom assassin – du moins si l'on se réfère à la figure de l'Ancien Testament – et à la curiosité insatiable. Le viol de la Jeune Femme, que montre dans le ballet la chorégraphie de , peut ainsi évoquer par effet de miroir la mise à nu du héros de l'opéra, dépouillé un à un de ses secrets les plus intimes. La présence d'un décor unique, de la plus grande sobriété, permet de valider et de renforcer de tels parallèles également suggérés par certains costumes, comme par exemple l'ample manteau porté en première partie par le Mandarin, en deuxième par Barbe-Bleue. On notera cependant pour l'opéra le recours à des costumes plus classiques, en parfaite conformité avec l'esthétique moderniste en vigueur au moment de la création de l'œuvre, ceux du ballet relevant davantage de l'époque actuelle. Au dynamisme échevelé d'un ballet aux rythmes sans cesse haletants, à la limite du supportable, fait également écho, par effet de contraste, le statisme presque pesant d'un opéra de nature essentiellement symboliste marqué par les étapes du doute et de l'introspection. De même, à la noirceur des images du ballet, inscrit dans le quotidien sordide de l'industrialisation naissante, répondent les couleurs chatoyantes des précédentes épouses de Barbe-Bleue, trois reines splendidement parées incarnant visiblement trois images de la même femme.

Autant les danseurs que les chanteurs convainquent par leur investissement dans le spectacle. Aux ébats corporels de et , d'un érotisme torride, répond le terrifiant face-à-face vocal d' et de . Dotée d'un timbre un peu aigre et d'un vibrato parfois trop appuyé, la première remporte pourtant l'adhésion par sa musicalité et par son engagement dramatique. Nettement mieux chantant, le deuxième propose du héros de l'opéra un portrait bouleversant d'humanité, bien plus victime que bourreau dans ce huit-clos dont aucun des deux personnages ne sort réellement vainqueur. Dans une partition à la hauteur de son potentiel, et sous la baguette de , un chef à qui Bartók va comme un gant, l' aura rarement aussi bien sonné dans un lieu à l'acoustique jugée généralement ingrate. Régal pour les yeux et pour l'esprit, donc, mais également pour les oreilles.

Crédit photographique : et (photo 1) ; et (photo 2) © Arnaud Hussenot – Metz Métropole

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