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L’élection du Général de Gaulle en 1958, c’est aussi…

… la création d'un ministère de la Culture

Au moment de la nomination d' le 9 janvier 1959 en tant que Premier ministre chargé des affaires culturelles, le monde culturel français était seulement doté d'un théâtre national (la Comédie-Française) et de cinq centres dramatiques nationaux. Le Louvre abritait encore le ministère des finances et Orsay était une gare-hôtel. Les Français écoutaient de la musique sur des vinyles et la télévision n'était pas encore dans tous les foyers.

En intégrant la création artistique dans les interventions de l'État et en constituant un ministère de plein exercice premier dans l'ordre protocolaire, le permit à l'administration des affaires culturelles un développement exponentiel dont les missions ne seront jamais remises en cause. L'action de ce ministère lui permettra d'acquérir un rayonnement international de la France par la culture, notamment grâce au succès mondial des maisons de la culture.

L'inscription du ministère dans les plans quinquennaux de modernisation économique et sociale pérennise cette nouvelle administration autonome

Le décret du 3 février 1959 transfère à des attributions précédemment réservées au ministère de l'éducation nationale et au ministère de l'industrie. Du ministère de l'éducation nationale sont issues la direction générale des arts et des lettres, la direction de l'architecture et la direction des archives de France. Des services chargés des activités culturelles du Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports et le Centre national de la cinématographie du ministère de l'industrie rejoignent également cette nouvelle administration. L'autre étape majeure sera la création d'un service puis d'une direction de l'administration générale en 1961 pour gérer les agents de l'administration centrale ainsi que les agents des services extérieurs, garantissant ainsi l'autonomie du ministère et sa pérennité.

Les nouvelles structures se développent principalement à partir de la direction générale des arts et lettres. Fin 1961, la sous-direction du spectacle et de la musique devient ainsi la direction du théâtre, de la musique et des spectacles. En 1969, six directions, une inspection générale, les fouilles et l'Inventaire rattachés au Cabinet, concrétisent cette croissance administrative.

L'organisation de l'administration centrale est complétée par la mise en place de comité régionaux des affaires culturelles (1963), de conseillers régionaux à la création artistique (1965), et des trois premiers directeurs régionaux des affaires culturelles (1969) annonciateurs de la déconcentration du ministère.

Dès son arrivée, André Malraux lie son ministère aux plans quinquennaux de modernisation économique et sociale comme le reste du Gouvernement : « c'est dans le plan de modernisation nationale et dans ce plan seulement que l'on peut concevoir un développement véritable et durable des affaires culturelles. Il n'y avait pas jusqu'à maintenant de politique culturelle parce qu'il avait toujours été impossible sous la IVe République, de poursuivre une action culturelle d'une année sur l'autre ; désormais l'autonomie du budget des affaires culturelles et son inscription dans un plan de cinq ans permettent de prévoir une continuité. »

Le ministère des affaires culturelles demeure pourtant fragile et conduit un processus de construction dans un contexte difficile marqué par la faiblesse du budget et la lutte permanente avec les ministères des finances et de l'éducation nationale.

Le refus d'une démocratisation de la culture passant par toute forme de pédagogisme

« Qu'est-ce qu'une beauté qui n'existe pas pour tous ? Qu'est-ce qu'une vérité qui n'existe pas pour tous ? Que la culture n'existe que pour quelques-uns, c'est un scandale qui doit cesser et que la démocratie s'emploie à faire cesser depuis qu'elle existe. » (Gaëtan Picon, directeur général des arts et lettres, 19 janvier 1960)

Face aux difficultés de la démocratisation culturelle, nombreux sont les responsables qui estiment que les seuls moyens de l'accomplir sont l'école et les médias. André Malraux est lui convaincu que l'action culturelle n'a aucunement à voir avec l'éducation : le rôle du ministère des affaires culturelles est de faire aimer les œuvres d'art par un contact direct et non de les faire connaître. La diffusion des œuvres artistiques contemporaines est promue à travers les maisons de la culture considérées comme « la charnière entre la création et la diffusion. »

Pierre Moinot, membre du cabinet du ministre, déclare que les maisons de la culture ont pour mission d'offrir à chacun, quel qu'il soit, où qu'il soit, la tentation de la culture. Elles sont là pour organiser une rencontre : « De cette manière peut naître une familiarité, un choix, une passion, une autre façon pour chacun d'envisager sa propre condition. »

« Transformer en un bien commun un privilège, tel est le but des maisons de la culture »

André Malraux en souhaite une par département. Il veut qu'elles montrent à tous les milieux, toutes les classes sociales n'importe où en France, la création contemporaine. Mais le ministre ne pourra finalement pas appliquer sa politique faute de subventions (à l'époque, le ministre des finances Valéry Giscard d'Estaing était peu favorable à ses actions) et seulement neuf villes accepteront de croire en ce projet : Le Havre en 1961, Caen, le Théâtre de l'Est-parisien et Bourges en 1963, Amiens en 1965, Thonon-les-Bains et Firminy en 1966, Grenoble et Rennes en 1968.

Exception faite du Théâtre de l'Est-parisien qui est une réalisation de l'État, les maisons de la culture sont financées à parts égales par l'État et par chacune des villes intéressées. Elles sont gérées par des associations dans lesquelles l'État et les villes sont représentés mais minoritaires, et dirigées par un animateur sur le plan artistique.

En 1973, les Centres d'action culturelle prendront le relais puis ce seront les Scènes nationales qui tiendront le même rôle que celui dévolu initialement aux maisons de la culture.

Visite du à la maison de la Culture de Bourges le 15 mai 1963 entouré d'André Malraux, Emile Biasini et Gabriel Monnet

La création n'est pas abandonnée à la loi du marché comme un simple produit de consommation

André Malraux considère que la création artistique est indispensable au développement de la nation et même un formidable vecteur de l'identité nationale. Pour lui, la création artistique n'est pas qu'une marchandise à consommer. Elle est un instrument de développement social et même économique. Elle constitue aussi un accompagnement efficace de la transformation des sociétés humaines.

Les moyens en personnel et en crédits budgétaires arrachés avec grande difficulté au ministère de l'éducation nationale sont dérisoires mais le ministre ne veut pas se borner à des gestes disséminés et fonde un service de la création artistique dès 1961.

Les actions prioritaires de cette nouvelle structure concernent la création contemporaine dans toutes les disciplines artistiques, notamment dans le domaine du théâtre, de la musique et du patrimoine. Une politique de reconnaissance et de soutien des créateurs contemporains est ainsi lancée, créant la sécurité sociale des artistes, multipliant le nombre des ateliers et les commandes publiques ainsi que les contacts avec le public.

La première politique musicale à travers le plan Landowski

Si André Malraux institue une commission pour étudier la situation de la musique en 1962, il faudra attendre 1966 pour voir se structurer le service de la musique, de l'art lyrique et de la danse, confié au compositeur et inspecteur général de l'enseignement musical . Le plan de dix ans pour l'organisation des structures musicales françaises, dit plan Landowski, opère une révolution dans le financement et la décentralisation de la vie musicale en s'appuyant sur des associations parapubliques fondées dans chaque département et financées par les conseils généraux. crée également l'Orchestre de Paris avec comme chef d'orchestre, ainsi qu'une réunion des théâtres lyriques municipaux pour la province à partir de 1966.

, premier chef d'orchestre de l'Orchestre de Paris

Le rejet de l'éducation populaire, la rupture avec l'éducation nationale, la rigueur et la complexité de normes administratives, la difficile collaboration entre différents ministères seront des freins à la mise en œuvre de la politique du ministre. Mais André Malraux saura allier les pouvoirs publics et la création artistique en soutenant sans aucunement influencer.

Pour aller ENCORE + loin

Les politiques de la culture en France, textes réunis et présentés par Philippe POIRRIER, La documentation française, 2016.

MOULINIER Pierre, Les politiques publiques de la culture en France, 7e édition, Collection « Que sais-je ? », Presses universitaires de France, 2016.

URFALINO Philippe, L'invention de la politique culturelle, Fayard, 2011.

 

Crédits photographiques : André Malraux et le en 1966 © AFP – André Malraux © Gallimard – Visite du Général de Gaulle à la maison de la Culture de Bourges le 15 mai 1963 entouré d'André Malraux, Emile Biasini et Gabriel Monnet © collection Double Cœur – © Corbis

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