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Mozart et Schubert sous les doigts de Denis Pascal à Gaveau

Un public d'aficionados, et ils sont très nombreux, était venu applaudir à la Salle Gaveau. Au programme cette année, de la musique viennoise avec Mozart et Schubert. Le pianiste avait choisi les dernières pièces du maître du Lied, celles où il ouvre sur des contrées encore inexplorées.

La Sonate en ré majeur K.284 dite « Dürnitz », du nom d'un des riches mécènes qui soutenaient Mozart, débute, comme ses sœurs voisines, par un Allegro lumineux transcendé par la volubilité du trait et le toucher délicat du pianiste. Mais Mozart sort quelque peu du moule traditionnel dans les deux autres mouvements. Le Rondeau en Polonaise – la Polonaise en rondeau est plus courante ! – est un andante joliment ciselé et plein de charme sous les doigts du pianiste, où Mozart prend plaisir à broder délicatement son refrain. Mais la surprise vient de l'envergure du finale, disproportionné par rapport aux mouvements précédents. C'est un thème et douze variations écrit dans l'élan d'une invention permanente où Mozart sonde toutes les potentialités, tant virtuoses qu'expressives, d'une idée mélodique de départ : des « variations sérieuses » aurait dit Mendelssohn, dont sert tout à la fois la profondeur et l'allure kaléidoscopique.

Avec les Drei Klavierstücke D. 946 écrits par six mois avant sa mort, c'est un autre univers pianistique que l'on aborde, mis au service de l'expression à travers les textures et les différents éclairages harmoniques. De forme libre, à la manière des Impromptus, ces trois pièces étonnantes semblent se déployer au gré de l'imaginaire sonore du compositeur. La première est un rondo avec son refrain fougueux et ses revirements énigmatiques où se lisent l'inquiétude et l'urgence. Ce cheminement narratif autant que dramatique est subtilement servi par l'interprétation sensible du pianiste. Sublime, la pièce centrale est quasi labyrinthique, où Schubert s'éloigne des formats classiques pour découvrir sans cesse de nouveaux horizons, entre ombre et lumière, énergie et renoncement. Quelque chose d'intime et de très chaleureux dans le jeu de nous rapproche inévitablement de l'atmosphère du Lied. L'Allegro final en Do majeur est écrit dans un registre plus clair et un élan presque jovial auquel Schubert oppose une partie centrale plus voilée, ancrée sur une base tonale très stable : des contrastes presque théâtraux auxquels le pianiste donne un relief saisissant.

Entendre en concert l'ultime Sonate pour piano de Schubert, D. 960 en Si bémol majeur, est toujours une expérience d'écoute fascinante, surtout sous les doigts d'un pianiste qui en dessine admirablement la grande forme et en règle minutieusement les tempi. Le premier mouvement est le plus impressionnant, par l'éclairage bouleversant de ses thèmes et le souffle d'un développement qui gagne le registre aigu du clavier pour dévoiler des espaces plus sereins et lumineux. L‘Andante sostenuto emprunte le même cheminement où Denis Pascal exerce avec raffinement son art de la demi-teinte. De fait, le Scherzo, très court, surprend par son caractère presque tapageur et faussement populaire. À l'œuvre peut-être l'ironie de Schubert ? Le Rondo final, quasi enchaîné, n'est pas moins ambigu, qui se joue entre tragique et plaisanterie, avec ses fulgurances orageuses, ses silences éloquents et la cinétique presque amusante de son refrain. Telle est la trajectoire bien ciselée qu'en donne Denis Pascal dont l'envergure virtuose captive autant que la fluidité du jeu et l'élégance du phrasé. Des qualités qui enchantent son interprétation de La plus que lente de avec laquelle le pianiste, rappelé deux fois par le public, termine son récital.

Crédit photographique : Denis Pascal © JB Millot

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