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Wayne McGregor bouleverse les codes à Garnier

Avec Tree of Codes, le répertoire de l'Opéra de Paris s'enrichit d'une pièce qui ne laisse pas indifférent. La vénérable institution est secouée, au rythme de la musique électro-pop de , par la chorégraphie à 100 à l'heure de McGregor et la mise en scène aux effets visuels déroutants d'. Un condensé de dynamite, déniché par Benjamin Millepied !

Tree of codes réunit rien moins que trois pointures de la création contemporaine, de renommée internationale chacun dans son domaine : le chorégraphe résident du Royal ballet de Londres, , le plasticien danois , exposé partout dans le monde et artiste invité par le château de Versailles à l'été 2016, et le DJ , âgé de 29 ans seulement et chef de file du groupe électro londonien The XX.

Le point de départ de la création ? Le roman de Jonathan Safran Foer, issu d'un découpage (au sens littéral du terme !) du texte de Bruno Schulz, The Street Of Crocodiles. McGregor, qui conçoit ce texte comme un « objet architectural« , à la dimension presque charnelle, a eu envie de transcrire par la danse les images qui surgissent de ce texte. Le compositeur se confronte également au texte, qui le frappe par sa musicalité, et aux danseurs classiques avec qui il teste ses compositions.

Le résultat de la confrontation de ces univers est explosif. Le spectateur est emmené, par vagues successives, au sein de l'univers envoûtant et inventif d', qui réserve bien des surprises au public. Jeu sur les lumières, démultiplication des danseurs par un système de miroirs complexes, renvoi de l'image de la salle, et même des visages des spectateurs éclairés à tour de rôle par un rayon lumineux, sont autant d'effets visuels étonnants et réjouissants.

L'ouverture a lieu dans le noir complet. La salle résonne au son de la musique électro-pop de Jamie XX. Soudain, la scène s'illumine d'étoiles, constellations mobiles qui se déplacent au gré des mouvements des danseurs. Les corps ondulent, rampent, tracent des lignes et des formes dans le ciel noir. Quand la lumière revient, les danseurs sont en ligne, cachés derrière des entonnoirs à la surface réfléchissante. Ils passent un bras dans la collerette et autant de fleurs semblent éclore.

Le ton est donné, place à la danse. Et aux corps. Chez McGregor les corps sont mis en valeur. Les costumes minimalistes laissent voir chaque muscle, chaque articulation, car le travail de torsion et d'extension est la marque de fabrique du chorégraphe. Physique, sculpturale même, comme l'objet littéraire qui est son point de départ, la danse de est à la fois souple, rampante parfois mais aussi explosive, en tension. Elle soumet les danseurs à un rythme effréné pendant presque toute la durée de la pièce, qui s'enchaîne en une série de tableaux. Aux ensembles fulgurants à l'harmonie brouillonne, succèdent des duos, masculins, féminins et mixtes, d'une précision extrême. Chaque duo est doublé, derrière un écran, par un autre couple, ce qui crée un effet de défragmentation, comme si les mouvements des danseurs se répétaient à l'infini.

Il faut attendre la deuxième partie du ballet pour voir entrer en scène les solistes de l'Opéra de Paris et . Les jambes interminables de et ses extensions toujours aussi phénoménales remplissent l'espace et s'adaptent particulièrement bien au style du chorégraphe britannique. Mais il faut bien noter que sa danse manque d'explosivité. La danseuse semble éprouvée physiquement. donne aussi l'impression d'être un peu poussif, malgré sa souplesse de félin.

et sont apparus très à l'aise dans ce registre et, dans l'ensemble, l'alchimie entre les danseurs de l'Opéra et ceux de a fonctionné. Il faut souligner la grande qualité des danseurs de la Company Wayne McGregor, aussi bons techniquement, précis et vifs, qu'enjoués et dynamiques dans ce style à part qu'ils maîtrisent sur le bout des doigts. Leurs ondulations de serpents, déhanchés et torsions du buste sont fascinants.

Dans la dernière partie, le plasticien Olafur Eliasson a conçu une structure translucide, trouée de deux yeux qui tournent sur eux-mêmes, et qui ne sont pas sans rappeler les yeux cerclés de lunettes dans le film Gatsby le Magnifique.

Si la mise en scène et les effets visuels du plasticien sont marquants, jamais ils ne mettent les danseurs en retrait. La structure reste au service de la danse, sans la couvrir ou venir pallier un manque d'inventivité chorégraphique. Au contraire, danse, musique et chorégraphie s'enrichissent les unes les autres pour accoucher d'une sorte d'ovni, résolument moderne.

L'attention du spectateur est captée de bout en bout. La musique comporte certes certaines facilités et concessions au mainstream, mais on ne peut bouder son plaisir d'être ainsi transporté dans un univers inventif et esthétique qui propulse la danse classique dans une nouvelle dimension !

Crédits photographiques: Photographies n°1 et 3 : © Little Shao, Opéra de Paris. Photographie n° 2 : © Stephanie Berger

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