Vue la vidéographie copieuse de Turandot, une nouvelle version ne s'imposait peut-être pas. Mais la direction exemplaire de Riccardo Chailly justifie à elle seule cette parution.
Qu'est-ce que Turandot ? Une œuvre monumentale aux chœurs imposants obligeant les chanteurs à se transformer en machines à décibels ? Un opéra facile d'accès misant surtout sur l'éblouissement du public et, par conséquent, le plus adapté aux espaces en plein air ? Tant de chefs et metteurs en scène nous ont habitués à cette vision des choses. Riccardo Chailly nous offre une lecture bien différente. Il nous fait découvrir une partition étonnement moderne, aux richesses orchestrales et harmoniques inouïes. Certes, les moments d'éblouissement y sont, et les grands sentiments aussi. Mais jamais on ne sombre dans le monumentalisme ou dans le kitsch. Logiquement, Chailly remplace le finale complété par Franco Alfano par la version plus intimiste de Luciano Berio. Pas de triomphalisme donc, mais un amour bâti sur le sacrifice de Liu.
Heureusement, cette lecture se marie à la vision scénique de Nikolaus Lehnhoff, décédé peu après cette première. Sobre, aux effets visuels marquants, la mise en scène évite soigneusement toute chinoiserie forcée. Elle nous raconte, en revanche, l'histoire d'une femme qui craint profondément l'amour. Son lourd costume noir est le symbole de cette peur, et ce n'est qu'au moment où Calaf commence à la déshabiller qu'elle accepte enfin ses sentiments pour lui. Nina Stemme, voix sombre et puissante, mais capable de belles demi-teintes, incarne à merveille cette Turandot plus fragile que d'habitude. Dommage seulement que son registre aigu se soit considérablement durci au cours des dernières années.
À ses côtés, Aleksanders Antonenko campe un Calaf des plus solides. S'il se crispe, malheureusement, juste au moment de « Nessun dorma », le ténor letton exhibe par ailleurs une voix large et des aigus sûrs, faisant preuve d'une étonnante souplesse au moment du duo final. Excellents la Liu de Maria Agresta, aux ravissants aigus émis pianissimo, et le Timur d'Alexander Tsymbalyuk au timbre particulièrement enjôleur. Rien à redire non plus quant au trio efficace de ministres. Mention spéciale enfin pour l'Altoum, plus en voix que d'habitude, de Carlo Bosi.