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À Montreux, Marc-André Hamelin ou le piano comme une diva

Au Septembre Musical, triomphal succès d'un inspiré complice d'un musicalement heureux en un après-midi à la gloire de Ravel et de Gershwin.

Pour un pianiste, existe-t-il meilleur support qu'une aussi longue et profitable expérience du Concerto en sol majeur de que celle dont peut s'enorgueillir qui depuis plus de trente ans peaufine cette partition ? Quand le soliste s'appelle , quand on s'enthousiasme au plaisir qu'il prend à jouer, quand on ressent cette joie, quand on s'émerveille de cette totale absence d'effets de manche, de cette humilité musicale, de cette formidable authenticité, on ne peut qu'assister à un moment de grâce. Et c'est bien ce qu'a offert ce troisième concert du Septembre Musical de cette année.

Tout commence par un joli Tombeau de Couperin que porte avec élégance. Il y a de la finesse, des couleurs, du rythme en même temps que de la sérénité dans la direction du chef suisse. Il s'emploie à adoucir les angles de son orchestre, à soigner la mélodie. C'est si joli qu'on en vient un peu à s'ennuyer devant tant de soin. Mais la mise en bouche produit ses effets.

Il ne se passe que quelques notes du Concerto en sol que le « je-ne-sais-quoi » qui annonce l'expérience de la musique opère sa magie. Ce moment où on voit sans regarder, on entend sans écouter (et pas le contraire !), on perçoit sans attention. Ce moment où qu'importent les notes, le tempo, la notation, l'articulation, on est dans la vérité artistique comme il est rare d'en vivre. En sortant de cette rêverie éveillée, on voit observant ses doigts courir sur le clavier avec un regard émerveillé. Comme s'il les découvrait soudain. Tournant lentement sa tête de droite à gauche comme s'il voulait ne pas donner plus d'importance à une main qu'à l'autre, son phrasé et sa respiration musicale se fondent admirablement avec l'orchestre.
Quand vient le sublime adagio du second mouvement, on sait que l'on va frémir aux sons si inspirés de cette partition. Souvent les premières notes suffisent à beaucoup de pianistes pour émouvoir. Ils se complaisent alors dans cette première approche pour gentiment laisser se prolonger l'émotion. Rien de tel avec Hamelin. D'un bout à l'autre, il voue cet adagio à l'introspection profonde en façonnant chaque note, chaque phrase d'un message intérieur. Et quel toucher, quelle sensibilité, quelle musique !
Profitant de son inspiration, le pianiste enchaîne immédiatement le presto final avec une dextérité affirmée sans pour autant négliger les couleurs mélodiques de l'œuvre. La puissance des graves, la délicatesse des aigus donne à son piano la voix d'une diva. C'est merveille d'être captivé, capturé par tant de musique. Et avec cette volonté de faire corps avec son instrument, Marc-André Hamelin termine avec brio ce moment de don total, de tout piano, de toute musique.


En seconde partie, on retrouve le pianiste canadien dans la Rhapsody in Blue de . Œuvre plus spectaculaire sinon populaire, elle offre aux pupitres du (merveilleux clarinettiste et trompettiste) l'occasion d'exprimer un brillant orchestral qu'ils n'ont pas coutume d'extérioriser. Si l'orchestre et le chef s'activent à faire chanter cette partition, c'est du piano encore que vient la respiration musicale. Là encore, Marc-André Hamelin opère son charme même si on aurait aimé une approche avec un peu plus de swing. Mais Montreux n'est pas New-York, et un grand orchestre symphonique n'a pas la souplesse rythmique d'un orchestre de fosse d'une comédie musicale américaine. Et, quand bien même la partition de Liza a été écrite par Gershwin, les interprétations qu'en ont faites certains Teddy Wilson, Art Tatum, Nat King Cole ou James P. Johnson sont peut-être plus dans l'esprit de ce que recherchait le compositeur dans la musique américaine (le jazz) que la gentille mélodie que nous a offerte le pianiste dans son bis. C'est ce qu'on peut aussi regretter dans Porgy and Bess – A Symphonic Picture du compositeur américain. Même si Charles Dutoit essaye d'emmener son ensemble dans l'intention de cette partition, ses musiciens sont trop « sages » pour appréhender l'esprit du swing et du jazz qui sous-tend cette partition. Hormis quelques bons passages d'un banjo clinquant et de trompettes bouchées, l'esprit des noirs n'habite pas cette interprétation même si, au passage, on reconnaît les airs les plus célèbres comme Summertime, It ain't necessarily so ou My man.

Comme pour se racheter de ce quelque peu « endormissant » Porgy and Bess, Charles Dutoit offre un endiablé et tonitruant Mambo tiré de West Side Story de Bernstein en clôture de ce généreux et superbe concert, prouvant qu'il n'y a pas que Gustavo Dudamel capable d'enthousiasmer le public.

Crédit photographique : 72e édition de Septembre musical, festival de musique classique Montreux-Vevey © Céline Michel

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