- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Pelléas et Mélisande à côté du sujet au Komische Oper Berlin

À trop chercher à restituer dans la mise en scène l'expressionnisme sous-jacent de la partition de Pelléas et Mélisande, passe à côté du chef-d'œuvre de Debussy. La distribution, peu propice à l'exception du Golaud de , et la direction de Jordan de Souza, qui développe de belles sonorités mais assez peu appropriées, sont à l'avenant.

Si le drame lyrique fut créé à l'Opéra-Comique de Paris en 1902, il monte pour la première fois sur les planches de celui de Berlin, le Komische Oper maintenant dirigé par s'écartant une fois de plus de l'idée de monter tous les ouvrages en allemand pour proposer celui de Debussy dans sa langue d'origine, le français.

Mais si cette langue est plus que compréhensible dans la bouche des chanteurs présents sur le plateau, peu comprennent les mots de Maeterlinck et leur puissance. Les points noirs apparaissent dès l'acte I avec la Mélisande tout à fait hors de propos de . Déjà sans finesse récemment en Tatjana dans la production d'Eugène Onéguine de Kosky actuellement reprise à Zurich, la soprano propose comme son aînée Hannigan l'opposé de ce qu'il semble falloir développer dans cette partition. Plutôt que de garder mystère et distance dans une délicatesse extrême, elle tient à l'inverse à en étaler le lyrisme et surjoue son personnage malgré une action très concentrée sur le milieu de la scène. Pelléas n'est pas plus à l'aise avec le rôle, car en plus de n'être pas baryton Martin, Jonathan McGovern ne possède lui non plus ni douceur ni sensibilité pour porter le personnage.

Passons aussi rapidement sur la Geneviève de , dont la scène de la lecture de la lettre montre une artiste intéressante et intelligente mais peu concernée par le texte, et encore plus rapidement sur l'Arkel aigre et désagréable de . L'Yniold revient à un enfant, ici David Wittich du Tölzer Knabenchor de Munich, peu précis sur son texte et lui aussi peu marquant, surtout lorsque l'on a encore dans l'oreille la prestation insurpassable de la jeune star dans le rôle au printemps dernier à Oslo. Samuli Taskinen convainc plus en médecin que lors de son intervention pour la voix du Pâtre, mais sur la scène berlinoise ce soir, le seul artiste véritablement convaincant est , Golaud expressif autant que tiraillé par ses sentiments. Attirant tant par la projection que par la diction, il touche au dernier tableau même lorsque personne d'autre autour de lui n'y participe.

En coproduction avec Mannheim, la mise en scène du directeur de la Komische Oper ne tient que sur un concept : un jeu de perspective sur plusieurs plans de profondeur dans une petite scène qui semble vouloir faire rentrer cette opéra intimiste dans un théâtre de poche. La faible place laissée par le décor présente un spectacle bien réglé avec une troupe parfaitement préparée, mais les entrées et sorties des protagonistes immobiles sur des demi-cercles concentriques sans cesse en mouvement ne bénéficient pas à l'action. On cherche également ce qu'a voulu trouver Kosky dans le chef-d'œuvre de Debussy. La dernière image de Golaud, seul dans la position initiale, donne à penser que son idée globale a été d'imager en rêve le passé de ce personnage. Pour un ouvrage aussi complexe et génial, cette idée paraît bien faible et n'est soutenue ni par la dramaturgie ni par le décor qui, eux, poussent à l'excès d'expression, à l'image de l'expressionnisme allemand développé par le cinéma quelques décennies après la création de Pelléas.

Coté orchestre, le jeune chef canadien et nouveau directeur musical Jordan de Souza ne se montre pas particulièrement familier avec cette partition, mais les magnifiques nappes de violons et altos fonctionnent autant que les ambiances sombres portées par les violoncelles et les contrebasses. Les bois se montrent moins en place et participent souvent peu à développer le drame, tandis que la harpe est soit trop peu audible, soit trop forte à cause d'un jeu de sonorisation sans grand intérêt.

Un mot enfin sur la version choisie, car sans chercher à nouveau à refaire l'histoire autour de la partition initiale de Pelléas et Mélisande, pourquoi se passer aujourd'hui des magistraux interludes, surtout du premier référent à Parsifal, lorsque l'on a une telle densité de cordes, et du second lorsque l'on possède un tel premier violon ? Des spécialistes de l'œuvre auraient pu justifier un tel choix, mais peu d'artistes ce soir-là étaient à même de le défendre.

Crédit photographique : © Monika Rittershaus

(Visited 1 404 times, 1 visits today)