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Le Martyre de saint Sébastien par Vincent Larderet

En l'honneur des cent ans de la naissance du compositeur, le pianiste Vincent Larderet consacre son nouvel opus à Debussy. On en retient une intéressante version pour piano seul d'extraits du Martyre de saint Sébastien.

Deux chefs-d'œuvre reconnus, d'abord, puis une rareté jamais enregistrée : la structure de cet hommage reprend celle d'un précédent CD Ravel très réussi, paru lui aussi chez le label allemand Ars Produktion, en 2015. Cette fois, ce n'est pas Florent Schmitt qui est convié, mais , dont on sait qu'il a étroitement travaillé avec Debussy au moment de la composition du Martyre de saint Sébastien. Déjà atteint par la maladie, et contraint par des délais très courts, le compositeur s'est adjoint Caplet comme orchestrateur ; mais ce dernier, à partir du matériel de Debussy, a également conçu une réduction pour piano de certains numéros (parmi ceux qu'à l'orchestre il a assemblés sous le nom de Fragments symphoniques).

C'est cette transcription que joue  : il en a retouché quelques sécheresses, et il a augmenté certains passages qui portaient trop ostensiblement le sceau de la hâte (notamment la Danse extatique, à laquelle il a adjoint la presque totalité du finale de l'acte I, tel qu'il se trouve dans les Fragments). Le résultat en vaut la peine : c'est une introduction concise et agréable à tout un pan de l'œuvre du dernier Debussy, dont les dimensions austères peuvent effrayer (le Martyre, dans son intégralité, dure plusieurs heures). Les miniatures rassemblées ici, du même format moyen que les Préludes, s'enchaînent à bon rythme, au gré d'atmosphères variées auxquelles le pianiste, avec rigueur et dynamisme, sait rendre justice. Son timbre orchestral souligne à bon escient les originalités rythmiques et harmoniques d'une partition souvent reléguée au second plan du catalogue debussyste.

Il n'en est pas ainsi des Images et des Préludes, où la nouveauté et la pertinence s'acquièrent à plus de prix. Dans ces pages, on retrouve en le lecteur de musique consciencieux, sensible aux détails textuels et prompt à les restituer. Mais une musique effleurée, comme celle des Préludes, qui demande tant d'imagination à ses interprètes, peut-elle trouver son sens dans un pur effort d'objectivité ? Le début de La puerta del Vino fournit, on le craint, une réponse : la seule perfection technique ne convainc pas, et au lieu de l'« extrême violence » ou de la « passionnée douceur » que Debussy réclame, on entend des alternances d'attaques anguleuses et de phrases éthérées. Semblablement, le symbole « louré » – cette barre énigmatique dont Debussy aime à orner des notes qu'il juge significatives, et qui n'a pas véritablement de sens en soi – ne peut se passer d'une « interprétation », au sens propre du terme, dans l'intelligence du contexte expressif, à moins de se voir réduit (comme ici dans Mouvement) à un simple accent, naïf et gourd.

Dans l'Hommage à Rameau, au centre de la première série des Images, apparaissent nettement les failles d'un jeu trop analytique, lorsque l'observance minutieuse de la partition devient idolâtrie du détail. Telle liaison, tel demi-soupir, finit par l'emporter sur le sens global ; de là, un dosage surprenant de la pédale forte qui en arrive à interrompre les résonances entrevues, ou à en prolonger certaines à l'excès ; de là, un certain systématisme dans les nuances ; de là aussi, des basses trop timbrées, qui retiennent l'envol poétique auquel on aspire. Fort heureusement, dans certains passages, le discours musical l'emporte malgré tout ; que ce soit dans la rêverie des premières mesures de Reflets dans l'eau, ou dans la causticité de General Lavine – eccentric, le pianiste nous livre alors des trouvailles sincères, et qui séduisent.

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