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Semyon Bychkov et le Concertgebouw inspirés par Chostakovitch

à la tête de l' d'Amsterdam, réalise à la Philharmonie de Paris une interprétation inspirée de la Symphonie n° 5 de . Une lecture qui contraste avec la pâleur et le peu d'intérêt du Concerto pour deux pianos de .

On ne s'étendra pas sur le Concerto pour deux pianos de qui tire son peu d'attrait de sa rareté d'exécution et de son instrumentarium rare plus que de son orchestration pour le moins indigente. Une œuvre déjà enregistrée au disque pour Decca en 1990 avec les mêmes interprètes, composée en 1912, plusieurs fois révisée par leurs dédicataires, les sœurs Sutro, avant qu'on en retrouve la version originale, tout à fait par hasard, en 1971. Si le chef sauve la mise en faisant valoir l'ampleur sonore et la délicatesse des splendides cordes du Concertgebouw, force est de reconnaître que le jeu brutal et les fréquents décalages des sœurs Labèque achèvent de pénaliser cette partition sans caractère propre.

Changement d'ambiance pour la deuxième partie de concert avec la célèbre Symphonie n° 5 de Chostakovitch. Contemporaine des grandes purges staliniennes, elle est composée en 1937 dans la hâte, mais surtout dans la crainte causée par les mises en garde du pouvoir et l'accusation de formalisme parues dans la Pravda après le scandale de Lady Macbeth de Mtsensk. Sa création par Mravinski prend, dès lors, des allures de renoncement ambigu où se mêlent soumission et ironie sarcastique. Une œuvre en quatre mouvements, pour grand orchestre, tonale, classique dans sa forme dont la signification profonde de défi et d'interrogation douloureuse est constamment masquée par un faux optimisme. Point n'est besoin d'être grand clerc pour comprendre l'ironie, le faux semblant et la fausse allégeance que représente cette œuvre. Véritable « Janus » musical, elle est en permanence sous-tendue par une ambiguïté alliant repentance, fausse joie et terreur, ce qui fera dire au compositeur quelques années plus tard : « la Cinquième, c'est comme si l'on vous frappait avec un bâton et que votre rôle soit de vous réjouir… ». On connait les affinités de pour le compositeur russe et la complicité qui le lie au Concertgebouw qu'il dirige régulièrement depuis 1984. On ne s'étonnera-t-on donc pas d'une interprétation toute en finesse, d'une rare expressivité alliant la rugosité d'un Kondrachine à la subtilité d'un Haitink.

Une lecture caractérisée par la clarté et la précision de la mise en place, par un phrasé souvent abrupt tempéré par l'ampleur de la sonorité orchestrale, par une dynamique constamment tendue, par un engagement et une rigueur rythmique sans faille de l'ensemble des musiciens, par une valorisation pertinente des timbres témoignant de la richesse d'une orchestration admirable. Le premier mouvement Moderato mené sur un tempo assez lent installe d'emblée un climat de lamentation douloureuse et d'attente angoissante jusqu'à l'entrée du piano qui ouvre, par ses accords plaqués, la voie à un grand crescendo très tendu, quasi mécanique, renforcé par les cuivres et les martèlements obstinés des timbales, avant de laisser progressivement place au silence, encore troublé par le glas de la trompette et les sonorités diaphanes du célesta, du violon solo et des harpes. Le deuxième mouvement en forme de Scherzo respire l'insouciance et l'humour sarcastique tandis que l'Adagio suivant porte l'émotion à son comble par la profondeur de sa déploration et par l'ineffable grandeur de la méditation toute empreinte de tristesse. L'Allegro final fait la part belle aux cuivres et percussions qui entament une véritable cavalcade conclusive politiquement correcte témoignant d'une allégresse forcée – selon les propos du compositeur rapportés par Solomon Volkov dans son livre Témoignage.

Une interprétation juste dans l'esprit comme dans la note, où le Concertgebouw affiche avec éclat sa cohésion, sous la baguette de . Sans oublier les performances solistiques de Kersten McCall à la flûte, Gustavo Núňez au basson, Ivan Podyomov au hautbois, Laurens Woudenberg au cor et aux timbales, pour n'en citer que quelques-uns…

Crédit photographique : Semyon Bychkov © Chris Christodoulou

 

 

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