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Anna Prohaska et l’Akademie für Alte Musik Berlin à Luxembourg

Avec un ensemble confirmé et une chanteuse au style et à la technique vocale issus du romantisme allemand, c'est un mélange détonant qui nous a sorti des sentiers battus du baroque, et auquel le public luxembourgeois a fait un triomphe.

On le sait, les programmes d'Anna Prohaska sont confectionnés avec soin, raffinement et intelligence, et personne ne pourra dire que celui concocté pour son concert « Shakespeare & Music » a fait exception à la règle. Même si la période élisabéthaine est représentée par le célèbre Come again de , ce sont surtout les compositeurs de la Restauration de la monarchie de 1660, en tête, qui se taillent la part du lion. Le Barde de Stratford n'en est pas moins fort bien représenté, non seulement par les œuvres théâtrales dérivées de ses pièces (The Tempest, The Fairy Queen), mais également par la lecture du sonnet 18, récité en préambule de l'extrait de Dowland, ainsi que par celle du monologue de Juliette juste avant que cette dernière absorbe ce qu'elle croit être le poison fatal ; la transition avec « The Plaint » de The Fairy Queen fonctionne à merveille. Dans tous les passages déclamés, la jeune soprano déploie des qualités d'expression et d'élocution dignes d'une actrice shakespearienne confirmée. La lecture de l'extrait de La Nuit des rois « If music be the food of love », donnée en début de concert, annonce en filigrane le dernier numéro du programme, une des mises en musique par Purcell de ce texte magnifique entre tous, véritable célébration de la musique et de l'amour, destiné ici à fermer la boucle de ce fort astucieux programme. Choix lissés et cohérents, donc, faits de quelques raretés – notamment au niveau des pièces instrumentales, comme la suite de Venus and Adonis de Blow ou celle de The Tempest dans la version Locke/Weldon – mais également d'un certain nombre de « tubes », dont le fameux « Fairest Isle » de King Arthur, « Music for a while » d'Oedipus ou encore le sublime « They tell us » de The Indian Queen, donné en supplément de programme.

L', dirigée par son premier violon , compte parmi les plus beaux orchestres baroques du moment. L'ensemble joue avec vigueur et entrain toutes les pièces destinées à assurer une transition aux airs. Il sait faire preuve également de recueillement et de délicatesse dans les passages plus méditatifs. On aura goûté ainsi le soyeux des cordes, le velouté des bois ainsi que, pour les morceaux plus enjoués, le dynamisme et la variété des percussions, particulièrement sollicitées pour la création d'un fond sonore destiné à rehausser les textes déclamés.

D'évidence, le chant et la musicalité d', fondés sur des crescendi et des portamenti inhabituels pour ce genre de répertoire, sur la création de climax dramatiques quelque peu exagérés pour des pièces à la subtile rhétorique verbale et musicale, relèvent davantage d'une esthétique héritée du romantisme que des canons du baroque. Elisabeth Schwarzkopf, Rita Streich et Irmgard Seefried, les chantres de l'expression alliée à la beauté vocale, auraient-elles chanté Purcell autrement ? Le public a néanmoins fêté cette voix ferme et franche, cette assurance vocale par laquelle Dowland et Purcell sont interprétés comme s'il s'agissait de Brahms, Wolf et Strauss, avec ce sens du climat et ce même respect du texte toujours parfaitement compréhensible, coulé sans heurts dans la plasticité et la rythmique de la phrase vocale. Était-ce, avec ce bel ensemble aux sonorités chatoyantes, le mariage de la carpe et du lapin ? Peut-être…

Crédit photographique : © Alfonso Salgueiro Lora

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