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Ivan le Terrible de Sergueï Prokofiev dans toute sa splendeur musicale

et le retrouvent le souffle d'Ivan le Terrible, au plus proche de ce qu'on entend dans le film, en une qualité sonore bien évidemment nettement supérieure.

Il semble que Prokofiev ait composé la musique de huit films. Si l'une est connue sous forme de suite, et plus connue que le film qui lui est associé – Lieutenant Kijé (Alexander Faintsimmer, 1933) – d'autres le sont nettement moins, comme La Dame de pique (Mikhaïl Romm, 1936), Lermontov (Alexander Gendelstein, 1942), Tonia (Abram Room, 1942), Kotovski (Alexander Faintsimmer, 1942), Les Partisans dans les steppes d'Ukraine (Igor Savchenko, 1942), tandis que les deux restantes, tout comme leurs films, sont des chefs-d'œuvre unanimement reconnus : Alexandre Nevski (, 1938) et Ivan le Terrible (, 1945).

Aux débuts du cinéma sonore, la musique destinée aux films tombait dans l'oubli sitôt leurs supports optiques disparus des salles de projection. Aussi certains compositeurs importants s'arrangeaient-ils pour sauvegarder leurs musiques de film en des adaptations pour le concert. Le cas d'Alexandre Nevski (1938) en est l'exemple type : Prokofiev révisa la partition originale l'année suivante en une cantate pour mezzo-soprano, chœur et orchestre. Ivan le Terrible (1945) n'eut pas ce destin aussi immédiatement favorable, alors que sa partition était d'un niveau au moins aussi élevé : en février 1948, Eisenstein disparaissait sans avoir pu commencer la troisième partie de sa trilogie, la deuxième ayant été interdite par Staline, avant même sa sortie en salle. Étant conscient d'avoir travaillé avec le plus grand cinéaste soviétique de son temps, Prokofiev décide d'arrêter de se consacrer au cinéma, laissant la partition d'Ivan le Terrible dans ses archives, et son décès survient le 5 mars 1953, le jour même de celui de Staline…

Toutefois en 1961, en contrepartie à la cantate Alexandre Nevski, et pour honorer le 70e anniversaire de la naissance du compositeur, le chef d'orchestre Abraham Stassevitch (1906-1971) décide d'adapter les parties essentielles de la musique du film Ivan le Terrible en un oratorio pour récitant, solistes, chœur et orchestre ; il était bien placé pour le faire, puisqu'il avait déjà dirigé l'orchestre dans la bande sonore originale du film. Dès ce moment, on prit vraiment enfin conscience de la grande qualité de cette musique, et après l'enregistrement de Stassevitch lui-même (Melodiya / Le Chant du Monde), d'autres chefs s'y intéressèrent : Riccardo Muti (EMI – Warner Classics), Mstislav Rostropovitch (Sony Classical), mais le récitant peut se révéler envahissant et gênant lorsqu'il interfère dans la musique, à plus forte raison s'il parle russe… C'est pourquoi d'autres versions discographiques s'en privent, comme celles de Neeme Järvi (Chandos) et Valeri Gergiev (Philips). Le problème est que toutes ces versions se limitent à la durée d'un seul CD, alors que le film complet dure pratiquement trois heures…

En 1998, nous devons à Vladimir Fedosseïev (Nimbus Records) la première mondiale de l'édition russe « officielle » de 100 minutes basée sur les manuscrits autographes au Musée Glinka de Moscou, et publiée chez Hans Sikorski à Hambourg en 1997 ; il fut suivi en 2003 par Valeri Polyanski (Chandos), utilisant la même édition. En 2016, , proposant sa propre édition de 117 minutes également publiée chez Sikorski, parvient encore à mettre au jour du matériel musical supplémentaire. Dès le superbe Prologue précédant l'Ouverture, la voix veloutée de l'alto fait merveille et montre à quel point Ivan le Terrible est proche stylistiquement d'Alexandre Nevski, mais avec les raffinements supplémentaires d'une orchestration plus élaborée. Prudenskaya n'a rien à envier à la grande Valentina Levko qui avait transcendé la gravure d'Abraham Stassevitch. Vu la qualité générale d'homogénéité, de cohérence, et le très haut niveau artistique de l'ensemble des participants (merveilleux Rundfunkchor et , à ne pas confondre avec le Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, l'ancien RIAS de Ferenc Fricsay), et sachant que l'on est en présence de la version la plus exhaustive de la partition, cette édition constitue sans aucun doute la version définitive de la musique de film d'Ivan le Terrible, complémentaire aux versions déjà publiées précédemment. Une réussite qui fait suite à son excellent premier enregistrement de la musique originale d'Alexandre Nevski (assez différente de la cantate plus familière), en SACD également chez Capriccio.

Le seul regret concerne le livret du disque : si un certain Steffen Georgi se livre à une analyse fort indigeste sur et son film Ivan le Terrible, la plaquette ne dit en revanche pas le moindre mot sur Prokofiev ni sur les circonstances de la composition d'Ivan le Terrible, ni surtout sur les sources utilisées par pour établir son édition, ce qui est un comble, en l'occurrence, pour cette réalisation Capriccio d'une telle importance…

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