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Lohengrin à Londres, pour amateurs de décibels

Une nouvelle production de Lohengrin au Royal Opera, plusieurs décennies après la précédente, était un événement très attendu : aucun des paramètres du spectacle ne sont cependant à la hauteur de l'événement.

La presse et les mélomanes britanniques s'en sont données à cœur joie contre la mise en scène sombre de  : c'est pourtant, malgré quelques passages à vide dans les deux derniers actes, ce que le spectacle a de mieux à proposer. Le décor du premier acte montre de sombres bâtiments de brique (couleur locale londonienne garantie) s'enfonçant en quelque sorte dans le sol : ceux qui attendent du faste en sont pour leurs frais, mais le premier acte de Lohengrin se passe dans un duché dévasté par les rivalités internes, au sein d'un empire mobilisé pour la guerre. Avec le travail très détaillé des lumières et une utilisation intelligente des déplacements des masses, Alden propose une image saisissante de ces temps de détresse – les amateurs de dorures et de scènes compassées n'ont qu'à s'en prendre aux compositeurs qui choisissent des livrets si sombres.

La suite du spectacle n'est pas toujours aussi frappante ; les gigantesques bannières des combattants du troisième acte, où l'inséparable cygne est devenu une sorte d'emblème fasciste, sont plus frappantes que porteuses de sens, et l'ensemble gagnerait à une densité interprétative un peu plus soutenue. La réaction du public à cette production montre quoi qu'il en soit que la modernité théâtrale pose plus que jamais problème dans un Royal Opera soumis plus que les opéras continentaux à des impératifs de rentabilité : ce n'est pas de bon augure pour l'avenir du genre.

Du côté de la musique, le bilan n'est pas bien bon. On peut reconnaître à la direction d' une certaine efficacité dramatique, une élégance dans les transitions ; mais, s'il fait usage de l'ensemble des nuances dynamiques, il montre aussi une prédilection coupable pour les fortissimos les plus déchaînés, en encourageant ainsi le chœur (bien peu homogène) à chanter constamment à pleine voix sans se soucier du reste ; et l'orchestre n'a qu'une palette de couleurs étroites à lui offrir, avec des cordes sans éclat et des cuivres qui se préoccupent plus de décibels que de couleurs. Il ne suffit pas de soumettre les auditeurs à un véritable mur de son pour faire du théâtre ou pour susciter l'émotion.

domine une distribution atone

Dans la distribution, n'a guère de mal à dominer les débats : son timbre blanc et sa diction angélique à la limite de la niaiserie sont depuis toujours objets de débats, mais le chanteur est d'une vaillance constante, sans fatigue et sans approximations ; on pourrait simplement lui reprocher ici une manière de ralentir le tempo de façon indue à chaque fois qu'il veut mettre une de ses interventions en avant, avec la complicité du chef. Les basses sont bien trop faibles face à ce chevalier conquérant : est hors jeu en raison d'une indisposition, mais ni , ni ne sont les orateurs de grand air que leurs rôles demandent, le premier n'ayant pas même une diction assez claire pour cela.

Chez les dames, cette production est l'occasion pour la jeune de faire ses preuves : elle qui, il y a peu, était encore membre du Jette Parker Young Artists Programme dans cette même maison, remplace Kristine Opolais qui a renoncé au rôle d'Elsa un mois avant la première. Le défi est donc grand pour cette artiste en début de carrière, mais ce n'est pas un remplacement de dernière minute : ce qu'on entend donc en ce dimanche après-midi, c'est une chanteuse solide qui parvient à affronter sans ciller le rôle de bout en bout, mais la voix reste étroite, avec un timbre qui devient acide dans les passages les plus difficiles, très loin de la lumière que d'autres ont su mettre dans ce rôle ; on se gardera bien de décider sur ce seul essai si elle aurait raison de persister dans ce répertoire.

, elle, est présente depuis des années sur les grandes scènes wagnériennes dans les rôles les plus lourds ; son Ortrud londonienne montre bien qu'elle ne manque certainement pas des moyens vocaux nécessaires pour de tels rôles. Mais comment une interprétation aussi caricaturale de ce rôle a-t-elle pu parvenir jusqu'à nous ? Elle en reste constamment au registre de la mégère hurlante, sans souci de l'intelligibilité du texte, comme si (et encore) tout le rôle était à l'image de ses imprécations finales ; le contresens est total, et on pense avec douleur à toute cette intelligence du mot à laquelle les générations d'aujourd'hui ont été habituées par Waltraud Meier. Est-ce cela, l'avenir de l'opéra, cette manière de sur-dramatiser les personnages, d'augmenter le volume pour en mettre plein la vue aux auditeurs scotchés à leur fauteuil ? Il faut espérer que non.

Crédits photographiques : © ROH | Clive Barda

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