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Ferez et Pantillon questionnent le cœur du XXe siècle

La collaboration entre le hautboïste français et le pianiste suisse, qui avait déjà donné naissance à un disque très émouvant autour de Pavel Haas (clef ResMusica en 2014), se prolonge avec l'introspectif At the heart of the 20th century, une plongée musicale franco-suisse enregistrée à la frontière des deux pays.

Elles ne sont pas si fréquentes, pour le hautbois, les occasions de se faire entendre loin des grands orchestres dont il est pourtant un des acteurs essentiels. Le répertoire spécifique est menu, l'instrument se voyant même parfois sommé au repli obligé sur le pis-aller de la transcription (ce qui arrive à Messiaen, qui passe ici de la voix au hautbois d'amour, et même à Dutilleux). C'est donc avec grand intérêt que ses amateurs accepteront la proposition de ce nouveau disque. , membre de l'Orchestre Victor Hugo Franche-Comté, a été à l'école de Maurice Bourgue et de Sandor Vegh, tandis que , à celle de Paul Badura-Skoda. Tous deux sont professeurs dans leur ville (respectivement Besançon et Neuchâtel) et complices d'un duo de grand talent.

La prise de son, d'une écoute religieuse, enrobe de velours le piano de Pantillon, un Bösendorfer Impérial qui, même dans les moments saillants, garde une rondeur et une intimité délestées de toute volonté de puissance. Le hautbois de Ferez, un Virtuose de chez Buffet-Crampon, est l'interlocuteur de luxe d'une conversation musicale aux allures de chemins de traverse : le Suisse , encore trop méconnu en France, ouvre le disque avec son intrigante Petite Complainte et se taille la part du lion avec la seule entorse au programme annoncé, la petite demi-heure de ses Huit Préludes pour piano, que Dinu Lipatti répéta pendant deux années avant que la mort ne vienne en compromettre la création. Messiaen et Dutilleux (très jolie Sonate de ce dernier dont le propre désaveu, concernant le dernier mouvement, étonne) s'inscrivent avec naturel dans un tel environnement qui révèle in fine , dernier ressuscité d'une époque douloureuse qui tua ou blessa ses artistes (Messiaen et le frère de Dutilleux tous deux de retour du Stalag). Résonnant de ces sombres souvenirs, le Shehnaï pour hautbois que composa pour , fait figure d'héritier ému d'un legs bien lourd.

La seule réserve que l'on adressera à la salutaire bouffée d'intériorité de ce beau disque questionneur de ce milieu du XXe siècle aux ramifications hélas toujours contemporaines, concerne le nouvel esperanto mondial de son intitulé. On imagine que, pour célébrer l'art de compositeurs et d'instrumentistes francophones, sa très belle jaquette pourrait afficher un audacieux Au cœur du XXe siècle, et son verso des Premier enregistrement mondial et Dédié à qui auraient vraiment de l'allure.

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