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Un week-end aux 10e Pianos Folies du Touquet

Les Pianos Folies du Touquet connaissent cette année leur dixième édition : un chiffre qui invite autant à la rétrospective qu'aux projets d'avenir.

Yvan Offroy, directeur du festival, aura réussi son pari : en dix ans organiser un festival de Piano en Côte d'Opale, « sorte de miniature de la Roque d'Anthéron, où le chant des mouettes remplacerait les croassements des grenouilles et le bruit des cigales », nous dit-il l'œil amusé. Le comité organisateur a surtout permis par-delà les concerts classiques (dans tous les sens du terme) de faire vibrer la cité entière au son des claviers grâce à un petit grain de folie salutaire (pianos déambulant à travers la ville, concerts en plein air dans le cadre de diverses manifestations, concert-animation pour et par les enfants). Lors de notre rencontre, il évoque le parrainage de la manifestation par la très regrettée Brigitte Engerer, toujours bien présente dans les esprits et dans les cœurs. Il évoque aussi le tropisme certain pour les pianistes russes, que certains lui reprochent, du fait des origines de son épouse Nadejda Sakovitch, et de ses relations de proximité et d'amitiés. Mais le festival est également tourné vers le futur, avec la perspective de l'inauguration de deux nouvelles salles en construction, dans le périmètre du palais des congrès, après destruction voici deux ans des anciennes infrastructures. En attendant, les concerts de prestige se déroulent provisoirement en la salle « des quatre saisons », ample annexe culturelle au complexe sportif local. Le lieu, malgré les aménagements, reste d'une acoustique relativement sèche et précaire, avec ce « rabotage » harmonique des extrémités du spectre sonore et une certaine compression de la dynamique de l'instrument.

Journée du dimanche 19 août : de la place laissée aux jeunes talents

Sur le plan de la programmation, en journée, place est laissée à de jeunes pianistes déjà primés ou encore en devenir, parfois invités à jouer dans des conditions à vrai dire assez difficiles.

À onze heures devant le casino, en plein air et devant un parterre mêlant mélomanes attentifs et autres bruyants amateurs…  de berlines anciennes, et moyennant une sonorisation envahissante, le jeune et méritant (frère du violoniste Pierre Fouchenneret), remplaçant au pied levé un invité malade ; se révèle dans la sonate Waldstein un beethovénien racé en puissance, malgré un gros trou de mémoire au fil du développement du premier mouvement. Sa quatrième Ballade de Chopin et sa Mort d'Isolde dans l'arrangement de soutiennent tout autant l'intérêt.

Le Canadien dans la cour du musée, à 15 heures 30, y va d'une démonstration de pyrotechnie pianistique dans des œuvres parfois creuses (insignifiant Concerto de Québec d'André Matthieu, enfant prodige bien oublié aujourd'hui en dehors de son pays natal) ou peu signifiantes (sixième Rhapsodie hongroise de Liszt, Islamey de Balakirev). En dehors de ce parcours d'obstacles restent une belle sonate opus 31 n°1  (« la boiteuse ») de Beethoven donnée avec beaucoup d'ironie et d'à-propos, et des extraits (hélas, seulement) de la quatrième Suite française de Bach qui laissent deviner le musicien un peu enfoui sous le virtuose dans ce concert « carte de visite ».

Les concerts  en soirée du week-end : déboussolant , insuffisant Mikhail Rudy

Samedi 18 août en soirée, y va d'un intrigant récital Beethoven confrontant le temps réversible des trente-trois Variations sur une valse de Diabelli, au parcours inéluctable vers le silence de l'ultime Sonate opus 111. Pour augurer le parcours de l'opus 120, il expédie la valse initiale (juste prétexte à un itinéraire spirituel) et nous propose une vision assez atypique du cycle, bousculant certaines habitudes de tempi ou d'articulations, par un sens très (trop ?) recherché de l'originalité  Chaque variation est presque traitée pour elle-même plus que dans le souci d'une trajectoire plus globale. On se plaît à presque s'égarer dans un labyrinthe formel où, sous un regard très analytique et une main gauche presque chirurgicale (variation 7), continuent à poindre l'énigme (variations 14 ou 20, fughetta de la variation 24), l'humour ou l'ironie (qu'on a connus plus savoureux ou ravageurs sous d'autres doigts dans les variations 21 et 22 ou dans cette libération salutaire qu'apporte le tempo di menuetto final de la variation 33). Le pianiste prend audiblement ces variations très au sérieux, comme le laissent penser les variations mineures (29 à 31) à l'ample respiration magnifiée par un usage pointu de la pédale. À cette version certes grandiose manque sans doute un peu l'esprit viennois de la pulsation ravageuse qu'y mettaient un Brendel ou un Kovacevich, ou celui de comédie jouée à soi-même qu'y faisait régner un  insolent Filippo Gorini dans son récital bruxellois du printemps dernier.

L'opus 111 donné en seconde partie appelle beaucoup plus de réserves. Sous le prétexte avoué de ne pas vouloir précipiter le tempo vif de la troisième variation à 12/32, presque jazzy, de l'arietta con variazioni, l'artiste prend d'un train de sénateur l'énoncé du thème et par la suite tout le mouvement. On frise ainsi la totale décomposition : adagio molto certes, indique en exergue Beethoven, mais il ajoute semplice cantabile. L'étirement du temps physique n'est pas celui du temps musical, et la lenteur (on approche des quarante minutes pour les deux mouvements !)  ne crée pas nécessairement le contexte métamusical voulu par le Grand Sourd pour sa dernière concession au genre de la sonate. Cette démarche interprétative presque « autiste » amène certes une immatérialité du son dans les ultimes variations où les trilles fibrent tout l'espace sonore, mais plombe complètement le maestoso-allegro con vrio ed appasionato liminaire pensé dans un exact rapport métrique ralenti. Heureusement les bis (toujours Beethoven avec le final de la sonate La tempête, puis la quatrième bagatelle de l'opus 126 et ensuite le troisième Moment musical de Schubert et le Prélude opus 23 n° 5 de Rachmaninov) nous révèlent un pianiste capable de plus de spontanéité libératoire.

Le récital du dimanche soir nous fait retrouver un Mikhail Rudy très décevant, accroché toute la première partie du récital à ses partitions comme à autant de bouées de sauvetage. Cela nous vaut des interprétations très erratiques de deux célèbres préludes de chorals de Bach revus par Busoni et une piètre lecture à vue du huitième prélude et fugue du premier livre du Clavier bien tempéré. Les transcriptions et paraphrases de Wagner, emphatiques à l'envi, ne valent guère mieux par leur instabilité de tempi, la précipitation des traits et une sonorité assez pauvre. Inaugurant la seconde partie du récital et donné enfin sans partitions, le cycle Dans les Brumes de Janáček nous permet de retrouver un relatif fil conducteur dans le discours, malgré une certaine brutalité d'approche. Las ! Pour terminer son récital, le pianiste y va d'un montage assez désinvolte d'une « suite » (sic) de Pétrouchka, sorte de remix entre les trois mouvements pianistiques authentiquement stravinskyens (et dont il omet soigneusement la redoutable danse russe liminaire) et sa transcription personnelle du reste de la partition d'orchestre, en y pratiquant d'importantes coupures. Tout cela donne une impression de totale négligence voire d'un certain mépris de l'œuvre. Un public très tiède et réservé d'ailleurs ne s'y trompe pas. Nous avons trop de respect pour les témoignages du de la grande époque (par exemple, le souvenir d'un prodigieux double album Scriabine parut voici presque quarante ans chez Calliope) pour ne pas davantage nous étendre sur ce récital qu'il vaut mieux vite oublier.

Crédits photographiques : Yvan Offroy © Les Pianos Folies ; © Irene Zandel ; Mikhail Rudy © Bernardo Moncada / Notimex

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