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Munch et Monteux, deux Français légendaires de la direction d’orchestre

Pour les mélomanes n'ayant pas eu la chance (ou le portefeuille !) d'acquérir les deux imposants coffrets RCA relatifs aux intégrales (86 CD) et (40 CD), voici une petite compensation sous forme de deux mini albums dans l'excellente série « Masters » de RCA.

Dès la fin de l'ère acoustique, le disque préserva la Symphonie fantastique op. 14 de Berlioz sous les baguettes de Rhené-Bâton (1923), Felix Weingartner (1925), Gabriel Pierné (1928), (1930), date à partir de laquelle les gravures devinrent innombrables. Toutefois, il fallut attendre les années 50 pour que s'accomplisse une exploration plus poussée de l'œuvre de l'illustre compositeur français grâce à deux chefs d'orchestre du plus haut niveau artistique : (1905-1967) et (1891-1968). Leur répertoire berliozien au disque était relativement semblable, mais contrairement à RCA pour Munch, Pathé-Marconi n'a pas donné l'occasion à Cluytens de graver Harold en Italie, Les Nuits d'Été, le Requiem, et le chef franco-belge ne nous laisse que des fragments de Roméo et Juliette et La Damnation de Faust, alors que contrairement à Munch, il nous gratifie de deux versions de L'Enfance du Christ qui devait particulièrement lui tenir à cœur.

Au total, indépendamment des qualités musicales exceptionnelles de ces deux chefs, le legs berliozien de est donc plus désirable car plus complet que celui d'. Cet album était déjà paru dès 2004 dans la série « Complete Collections » lorsque RCA appartenait encore à BMG (Bertelsmann Music Group), et cette réédition Sony bienvenue, totalement identique dans les couplages des œuvres sur CD, ne semble pas avoir été remasterisée. Quoi qu'il en soit, les enregistrements restent techniquement excellents, et les interprétations de Munch, telles qu'on les imagine idéalement adéquates à la volonté de Berlioz, n'ont jamais été surpassées, par leur spontanéité et leur enthousiasme parfois quelque peu débridés qui les rendent particulièrement vivantes et attachantes. Le musicien alsacien disait : « je vois dans mon état de chef d'orchestre, non pas un métier, mais un sacerdoce : le mot n'est pas trop fort. » Charles Munch était considéré par beaucoup de musiciens du BSO comme un protecteur de leurs intérêts, et était à la fois aimé et respecté.

La carrière de (1875-1964) aux États-Unis débute lors d'une tournée des Ballets Russes de Diaghilev en 1916, à la suite de laquelle il est nommé chef d'orchestre au Metropolitan Opera en 1917, tout en faisant ses débuts avec l'Orchestre Symphonique de Boston en 1918. Il dirigera cette dernière phalange durant cinq saisons, de 1919 à 1924, où il connut la tristement célèbre et désastreuse grève de l'orchestre en mars 1920, suite à laquelle il dut réorganiser et reconstruire le Boston Symphony avec succès jusqu'à la fin de son mandat. Cela n'empêcha pas le Conseil de l'orchestre, peu reconnaissant, de nommer Serge Koussevitzky comme successeur de Monteux, de 1924 à 1949. Koussevitsky lui aussi ne fut guère reconnaissant envers le chef français, en ne l'invitant jamais durant son règne à diriger l'orchestre, alors que Monteux lui avait offert sur un plateau d'argent le Boston Symphony parfaitement réorganisé…

Mais durant le mandat plus humain de Charles Munch (1949-1962), les choses allaient changer : Pierre Monteux sera chef invité d'honneur du BSO de 1951 jusqu'à sa mort en 1964, et certains enregistrements stéréo présents dans ce coffret en sont partiellement le témoignage. Une petite précision s'impose : au temps glorieux du microsillon, la RCA-Victor a publié bien plus de gravures stéréo de Monteux que ceux proposés ici, notamment avec les Wiener Philharmoniker, le London Symphony ou l'Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire de Paris. La raison de leur absence ici est due au fait que ces enregistrements furent réalisés par la Decca anglaise et sont passés en CD sous ce label d'origine. Le seul ici présent qui échappe curieusement à cette règle, bien qu'enregistré par Decca, est celui du Concerto pour violon en ré majeur op. 77 de Brahms avec en soliste et l'Orchestre Symphonique de Londres (20 juin 1958), et tant mieux, car il s'agit d'une référence, ce qui est normal, vu la profonde affection et les affinités de Monteux envers le compositeur hambourgeois.

En maigre compensation, RCA nous offre deux bien courts enregistrements en stéréo expérimentale ayant survécu : Prélude et Mazurka du ballet Coppélia de Delibes (2 décembre 1953), ainsi que la première moitié (!) de la première partie De l'aube à midi sur la Mer de La Mer de Debussy (19 juillet 1954) … mais, ce qui est absolument inadmissible et impardonnable, RCA a « oublié » inexplicablement d'y joindre ses trois Nocturnes bostoniens (15 août 1955) gravés en véritable stéréophonie sur microsillon RCA-Victrola VICS1027 !

Quoi qu'il en soit, il reste donc l'équivalent de 8 CDs stéréo présents ici par rapport à l'intégrale Monteux de 40 CD chez RCA : c'est peu mais suffisant pour goûter la direction du grand chef dans les meilleures conditions techniques possibles. De ces 8 CDs, il convient d'épingler l'opéra intégral en italien Orfeo ed Euridice de Gluck, les trois dernières symphonies de Tchaïkovski offrant une alternative idéale mais moins écrasante à celles de Evgueni Mravinski (1903-1988), l'indispensable Petrouchka de Stravinsky et bien sûr la formidable version Chicago de la Symphonie en ré mineur de Franck. Orfeo ed Euridice ne fait pas partie a priori du répertoire habituel de Monteux, mais sa vraie nature de musicien le prémunit de toute faute de goût et de style, et il a à sa disposition d'admirables interprètes telles que la mezzo-soprano Risë Stevens à la voix profonde et généreuse (Orfeo) et surtout la soprano à la voix rayonnante et lumineuse (Euridice). Dans le Concerto pour violon en ré mineur de Khatchatourian, la sonorité de velours de s'associe idéalement à une virtuosité éblouissante et sans faille qui concurrence sans peine les versions légendaires du compositeur et son soliste David Oïstrakh. Enfin, le seul disque stéréo à la tête de l'Orchestre Symphonique de San Francisco nous rappelle combien Pierre Monteux pouvait exceller dans le répertoire germanique, en l'occurrence celui des deux Richard, Strauss et Wagner.

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