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György Kurtág à Milano Musica

Il est bien des parcours possibles dans l'œuvre considérable de Kurtág, de la voix au grand orchestre.

Le valeureux festival Milano Musica a déjà souvent présenté la musique de ; rien d'étonnant à ce que la création de son premier opéra à la Scala soit l'occasion pour ses organisateurs de revenir sur les six décennies de sa singulière carrière, de la musique de chambre au grand orchestre.

L'un des plus originaux de ces concerts est celui consacré à quelques-uns de ses cycles de mélodies des années 60 à 80. Le cadre du concert est particulièrement bien choisi : le Teatro Gerolamo, minuscule théâtre à l'italienne avec son parterre de 56 places et ses trois petits balcons, ne peut guère accueillir sur scène plus que les quatre musiciens qu'appellent les Scènes d'un roman qui terminent le concert. Luigi Gaggero est le grand spécialiste du cymbalum en musique contemporaine et a déjà souvent joué la musique de Kurtág, mais c'est l'ensemble des artistes présents qui mérite les plus grands éloges – on est loin, aujourd'hui, du manque de naturel et des tensions qui rendent un peu maussades les premiers enregistrements de ces cycles. La soprano en est un excellent exemple : nul doute qu'un long travail a précédé ce concert, mais le résultat est d'un naturel, d'une expressivité simple et directe qui montre que cette musique est entrée dans l'univers artistique des musiciens d'aujourd'hui,  et c'est prometteur pour l'avenir. La violoniste fait elle aussi des merveilles : elle prend les pièces à bras le corps, mais sans compromis sur l'exigence de précision qui est au cœur de l'écriture de Kurtág, chaque pièce étant une aventure.

Le lendemain, c'est une des œuvres les plus marquantes et les plus souvent jouées du Kurtág « international » qui est au centre du programme. Stele, dense et puissante déploration orchestrale commandée par Claudio Abbado pour les Berliner Philharmoniker, se place dans la continuité des symphonies de Mahler, ce qui ne l'empêche pas de s'ouvrir avec un accord directement pris dans l'ouverture Leonore III de Beethoven : Kurtág se nourrit de ces influences puisées dans de vastes territoires de l'Histoire de la musique, et le programme du concert proposé par montre avec une pertinence remarquable ces jeux d'écho. C'est d'ailleurs la grande force du concert, qui ne parvient pas toujours à proposer une interprétation très prenante. Le Concerto pour orchestre de Bartók, où le Beethoven de la Pastorale a laissé sa marque, a aussi par moments des formules des cuivres qui ont quelque chose de commun avec le grave geste liturgique de Stele. La parenté est d'autant plus frappante que, dans cette dernière œuvre, Holliger semble précisément chercher le formalisme d'un rite funèbre plutôt que l'implacable douleur et la violence émotionnelle du deuil qu'on y entend d'habitude : l'option est stimulante et porte ses fruits, sans convaincre pleinement.

Avant l'entracte, Holliger s'adjoint le talent de pour illustrer une autre influence majeure de Kurtág, celle de son quasi-contemporain et ami Ligeti ; la virtuosité pianistique presque diabolique de son concerto est profondément étrangère à l'esthétique de Kurtág, qui a lui-même porté longtemps l'idée d'un grand concerto pour piano, mais on se surprend à découvrir tout au long des vingt minutes de musique des parentés bien plus riches qu'on ne l'aurait cru. a choisi, comme Ligeti l'y autorise, de ne confier les voix des cordes qu'à un instrumentiste par partie, ce qui conduit ici à des équilibres un peu trop favorables aux cuivres et aux percussions, mais y fait des merveilles, comme on peut s'y attendre, restituant toute la vitalité et toute l'acuité que Ligeti y a mises. Le moment le plus précieux vient cependant ensuite, quand il interprète en création italienne ou mondiale une série de pièces pour piano de Kurtág : l'hommage que rend Kurtág à son épouse Márta pour ses 90 ans en 2017 se passe de mots.

Crédits photographiques : © Margherita Busacca

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