Hector Berlioz aura attendu 14 ans pour devenir le soixantième (!) musicien à avoir sa biographie dans la collection « Musique » d'Actes Sud. Alors, après le refus de le panthéoniser, tient-on là une nouvelle preuve que la France reste fâchée avec son héraut du romantisme ?
En fait, cette biographie arrive judicieusement pour les 150 ans de la disparition du compositeur en 2019, et son auteur est opportunément Bruno Messina, le directeur du festival Berlioz et celui qui préside aux imminentes célébrations commémoratives.
Maintenant rassuré sur le fait que le compositeur n'a pas été une fois de plus victime d'une incompréhension dont la France s'est faite la championne, on pouvait craindre que le flamboyant musicien sombre dans l'embaumement d'une dévotion aussi officielle que routinière.
Ce serait oublier que Bruno Messina, au-delà d'avoir réussi à dynamiser le Festival Berlioz jusqu'à en faire le rendez-vous estival français le plus couru pour la musique orchestrale, a une idée et une façon de voir l'histoire de la musique habituellement considérée comme marginale. Cette conception fonde et irrigue tout son texte, et en fait le prix. Et dès qu'il s'agit de prendre à contrepied et de surprendre, Berlioz est de la partie.
Quelle est son idée ? Réintégrer la dimension anthropologique et sociale de la musique. En pratique, ça consiste en quoi ? A ne pas se reposer uniquement sur les documents laissés par ou à propos du compositeur, mais à passer les faits biographiques à la lumière de ce que l'on sait des comportements humains et des groupes sociaux de l'époque. Qu'est-ce que cela change ? Cela éclaire certains mystères de la vie du musicien, ce qu'il a laissé dans l'ombre, consciemment ou non. Son rapport à l'Italie, à l'argent, à la politique (sujet qui fâche encore), aux femmes en général et à ses femmes en particulier.
Bruno Messina avait affirmé la nécessité d'une telle dimension dans son entretien à ResMusica l'an dernier (voir infra), et il l'a mise en oeuvre de manière convaincante dans cette biographie. Un livre court pour Berlioz (on le voudrait plus long !), un modèle inspirant pour réécrire l'histoire de la musique.