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Christophe Honoré, une carrière à l’opéra

Les opéras qu'il met en scène, comme ses films, ne sont pas toujours immédiatement « aimables » et pourtant, finalement, l'on se rend compte que s'y est joué quelque chose qui a beaucoup à voir avec la recherche d'une vérité dormante. Quelque chose qu'on n'oubliera jamais, de l'ordre de la révélation d'un secret enfoui. De la sincérité d'une telle démarche, le répertoire lyrique a beaucoup à gagner.

« Ce qui fait vraiment partie du plaisir de l'opéra c'est que ce n'est pas vous qui êtes à l'origine du désir. »

Le finale de son Dialogues des carmélites compte parmi ce qu'un amateur d'opéra a vu de plus mémorable. La chute vers le bas des religieuses lors d'une défenestration millimétrée sur la musique sublime de Poulenc tenait lieu de montée à la guillotine et portait à son acmé une production extrêmement originale. Une sensibilité musicale indubitable. Un nouvel univers. On sut à cet instant la révélation d'un metteur en scène d'opéra auquel on reviendrait avec passion. Pourtant se profilaient aussi dans cette première réalisation de , notamment dans le premier tableau, une rugosité sans concession, un radicalisme à rebrousse-poil parfois déstabilisant.

 : « Une fois que vous avez admis que le metteur en scène est celui qui se fait huer au moment des saluts, vous avez compris ! C'est un mauvais moment à passer, jamais très agréable, qui apprend à faire avec sa susceptibilité. Il faut alors ne pas être en conflit. Surtout quand vous travaillez sur une œuvre patrimoniale, les gens ont parfois un rapport enfantin à l'opéra et veulent revoir ce qu'ils ont déjà vu. Ils veulent des effets de nouveauté sans voir le travail en profondeur qu'il peut y avoir sur une mise en scène. Ce qui est un peu triste dans une telle attitude, c'est de voir combien de mises en scène huées à la première sont applaudies lorsqu'elles sont reprises, l'exemple le plus fameux étant constitué par ce qui s'est passé à Bayreuth pour Chéreau. Le problème c'est que les mises en scène sont rarement reprises sauf si vous êtes dans un théâtre de répertoire. À Lyon, par exemple, il y a un côté « art éphémère » par moments un peu angoissant : vous jouez sept à huit fois avant de voir votre travail disparaître et ne subsister que dans les seuls commentaires à chaud un peu rapides, manquant du recul et de l'attention nécessaires, quand ils ne s'apparentent pas à des gestes de malveillance un peu faciles.

Du côté des équipes artistiques, il m'est arrivé d'avoir des réticences. De chefs, notamment. Du coup, c'est moins excitant parce que vous dépensez énormément de force et d'énergie à essayer de mettre quelque chose en place sur scène. Quant aux chanteurs, ils sont comme les comédiens : certains accordent plus rapidement que d'autres leur confiance. Mais à partir du moment où ils comprennent que l'idée c'est de les mettre en valeur et de trouver un éclairage supplémentaire plutôt que de prendre le pouvoir, je n'ai pas rencontré de difficultés. Quant aux équipes techniques d'opéra, ce ne sont pas du tout les mêmes que celles du cinéma dans le rapport au temps, à l'intensité. Au cinéma, on est habitué à des équipes très rapides, très investies, car le temps est compté. A l'opéra, il faut prendre le temps d'expliquer. Convaincre que les choses sont possibles lorsqu'on vous annonce : « Ça, on ne sait pas faire. » Ce qui peut aussi se comprendre au vu du nombre annuel de productions auxquelles sont confrontées des équipes techniques qui ont, de ce fait, du mal à admettre que d'autres méthodes de travail sont possibles. Ajoutez à cela que, venant du cinéma, vous êtes d'emblée soupçonné de vouloir demander l'impossible. Même si, dans mon cas, venant du cinéma d'auteur, moins fortuné que l'opéra, j'apporte davantage la nouveauté d'une méthode de travail que la volonté d'utiliser des moyens qui ne prendraient pas en compte la dimension économique. »


L'enfance comme fil directeur ?

Le premier geste artistique de (Tout contre Léo, premier d'une vingtaine de parutions) s'adressait aux enfants. Son dernier roman (cinq à ce jour), destiné quant à lui aux « ex-enfants », s'intitule Ton père. Les quatre mises en scène lyriques de Christophe Honoré sont très différentes les unes des autres. Mais, s'il est peut-être trop tôt pour y déceler d'autre constantes que la sensation d'une intense liberté de vision, on y retrouve une récurrente attention portée à l'enfance : dans le spectre d'un Don Carlos intemporel sous ses oripeaux de théâtre, comme dans cet Yniold devenu adolescent et quasi-personnage principal d'un Pelléas et Mélisande sous haute tension contemporaine.

ResMusica : « La littérature s'adresse aux pères et le cinéma aux mères », avez-vous déclaré. A qui s'adresse l'opéra ?

Christophe Honoré : « J'aurais tendance à dire que l'opéra s'adresse à l'enfant. Mais des enfants qui n'ont pas du tout l'âge d'être des enfants. Il y a, chez le spectateur d'opéra, une part d'enfance. Un enfant qui veut tous les soirs qu'on lui raconte exactement la même histoire. Vous dites à l'enfant : « Mais il y a plein d'autres livres… » Et l'enfant vous répond : « Non, je veux l'histoire du lapin Machin… » Le spectateur d'opéra vient chercher une consolation, un réconfort quand il vient écouter des gens chanter dans le noir. C'est une position particulière qui fait penser à la position de l'enfant qui, depuis son lit, écoute le monde adulte, ne le voit pas. Et c'est bien la raison pour laquelle le public d'opéra a souvent des problèmes avec le metteur en scène car le metteur en scène est celui qui veut montrer à des gens qui préféreraient rester dans le noir. »

La place du metteur en scène est souvent la plus inconfortable de toute. Plácido Domingo, touche-à-tout que l'on sait, délègue ce rôle à sa femme au prétexte que « la mise en scène, c'est ce qu'il y a de plus difficile ». Christophe Honoré, comme ses aînés en la matière, en sait quelque chose, puisqu'il a dû essuyer maintes huées à Lyon comme à Aix. Pourtant les grands metteurs en scène d'opéra contemporains sont aussi de grands lecteurs : Olivier Py, mais déjà Chéreau, dont on sait qu'il passait des heures « à la table » à faire lire les livrets par les chanteurs avant tout travail musical. Christophe Honoré est de cette eau-là, ainsi qu'en témoigne son travail, non seulement méticuleusement pensé, mais encore totalement innovant dans sa capacité à résoudre les pièges tendus par bien des intrigues d'opéras. L'exemple indiscutablement le plus spectaculaire concerne certainement sa mise en scène de Così fan tutte. Cinquante années de productions du chef-d'œuvre mozartien aboutissent enfin à Aix en Provence en 2016, à sa vision, la seule enfin crédible en ce qui concerne les jeux de masques matriciels de l'œuvre.

Christophe Honoré : « Avec Così fan tutte, je suis le premier à avoir pris au sérieux la problématique du travestissement. C'est probablement là que certains peuvent voir l'influence du cinéma. Un cinéaste ne peut se satisfaire, comme au théâtre, de la convention d'une simple moustache. On ne peut pas jouer avec la convention. La convention, ça n'existe pas au cinéma, où l'on est obligé de travailler sur la croyance, le vraisemblable, où l'on est obligé d'incarner. Cette force d'incarnation, qui peut aussi être une faiblesse, c'est la grande force du cinéma. Pour Così, ces femmes qui ne reconnaîtraient pas ces deux hommes en moustaches ne seraient que deux idiotes, ce qu'elles ne sont bien sûr pas. Pour moi, il était capital qu'on prenne ces femmes au sérieux. Et c'est comme cela que, petit à petit, l'idée de l'Afrique est arrivée. De cette idée d'un déguisement en blackface, qui indiquerait l'accession à une condition inférieure, a découlé toute la réflexion sur le racisme à l'œuvre du temps colonial, du fascisme mussolinien. »

Premier bilan et prochaines perspectives

Christophe Honoré : « J'ai un peu perdu mon innocence. Maintenant je commence à admirer certains metteurs en scène d'opéra plus que d'autres dont je peux me dire qu'ils n'ont pas beaucoup travaillé ! Je deviens un peu expert et c'est dommage parce que je n'arrive pas à pouvoir être bienveillant tout le temps. A l'opéra, j'ai vécu de grands moments avec de grands metteurs en scène. Tcherniakov, pour moi, est immense. Je suis très heureux de travailler à mon niveau en songeant parfois à ce qu'il fait, lui. J'avais vu son Dialogues, pas son Pelléas mais il n'a monté ni Don Carlos, ni Cosi. J'ai la chance de commencer à faire de l'opéra au moment où il y a de très grands metteurs en scène. »

ResMusica : On imagine qu'après Don Carlos, après Tosca, il y aura d'autres d'opéras à mettre en scène…

CH : « Zurich m'a proposé Arabella. Un opéra qui attend qu'on le débarrasse de son vernis chantilly. Je ne sais pas encore ce que je vais en faire mais me plaît là-dedans quelque chose de profondément mélancolique qui est très touchant. Il va donc falloir, pour le coup, forcément un peu la déshabiller, cette œuvre-là. Et ça me plaît de le faire en Suisse. »

Crédits photographiques : Christophe Honoré © Raphaël Neal ; Pelléas et Mélisande / Dialogues des carmélites © JL Fernandez ; Cosi fan tutte © Pascal Victor

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