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Jean-Christophe Maillot, dans les pas des Ballets russes à Monte-Carlo

Directeur-chorégraphe des depuis 25 ans, occupe une place à part dans le paysage chorégraphique.  En Compagnie de Nijinsky est un programme qui lui ressemble, proposant des écritures chorégraphiques diverses unies par une même réflexion sur l'héritage des Ballets russes.

« Nijinsky est l'incarnation de ce que j'aime chez le danseur. »

ResMusica : Pourquoi avoir choisi de consacrer un hommage à Nijinsky en 2018, qui n'est pas une année anniversaire ?

: Le point de départ de ce programme a été ma rencontre avec [NDLR : chef de l'] qui souhaitait travailler avec le ballet. J'ai ensuite rencontré Vony Sarfati à Paris qui m'a fait part de sa volonté d'inviter la compagnie au Théâtre des Champs-Élysées en février 2019. Ce théâtre est un lieu vraiment emblématique des Ballets russes et la réunion de l'Orchestre philharmonique et des ballets m'a donné l'idée de faire référence à ce pan de notre histoire que sont les Ballets russes.

RM : Que représente la figure de Nijinsky dans votre parcours artistique ?

JCM : Chez Nijinsky, il faut distinguer le danseur et le chorégraphe. Je considère L'Après-midi d'un Faune comme l'équivalent des Demoiselles d'Avignon [NDLR : œuvre de Picasso peinte en 1907] : c'est une rupture artistique radicale qui a ouvert des portes incroyables. On ne peut, en revanche, parler de Nijinsky en tant que danseur que de manière abstraite. Nijinsky est l'incarnation de ce que j'aime chez le danseur. L'envie de danser, la conviction, le fait d'être profondément habité, sont des qualités que je recherche dans mon travail chorégraphique, qui est étroitement lié à l'interprétation du danseur. Pour atteindre cet engagement-là, il faut être un peu fou. Cela ne me surprend pas tellement que Nijinsky ait pu basculer. Les grands interprètes – et il y en a peu – sont tous à la limite de la folie. C'est fascinant ! A partir du moment où le travail de chorégraphe est condamné, dans le bon sens du terme, à dépendre toujours de l'autre, plus l'autre est extraordinaire, plus le travail grandit. On ne devrait jamais voir ses ballets dansés par des interprètes moyens.

« Pour moi, la danse est essentiellement érotique. »

RM : Quel est le fil conducteur qui relie ces quatre œuvres entre elles ?

JCM : C'est l'idée de la sensualité et de l'érotisme, qui émane de l'époque des Ballets russes. Ces quatre pièces abordent la question du désir et du regard sur l'autre. Pour moi, la danse est essentiellement érotique. Il m'a semblé intéressant de voir comment ces quatre chorégraphes pouvaient traiter, chacun à sa manière, cette relation au corps et à la sensualité. Chacune de ces pièces illustrent bien le travail de chaque chorégraphe et me semblent chacune aussi respectables l'une que l'autre. La diversité des écritures me fascine et correspond à ma vision en tant que directeur. Condamner une forme ou une autre d'expression chorégraphique me semble une attitude réactionnaire et intransigeante. Du hip-hop au jazz, en passant par le pole danse, il y a des gens qui font un travail merveilleux et intègre.

RM : Pourquoi avoir choisi de réunir ces quatre chorégraphes dans un même programme et commandé de nouvelles créations à et ?

JCM : Il m'est très difficile de dissocier l'intérêt pour une œuvre de celui que j'ai pour la personne. Cette relation humaine est primordiale. est quelqu'un d'assez proche de mon identité chorégraphique. Sa réflexion est profonde et il s'est confronté au sujet de Petrouchka. Dans la soirée, les écritures sont éloignées les unes des autres, mais liées par un objectif commun. , que j'ai fait venir très tôt ici à Monte-Carlo, est un grand artiste. Je trouve sa pièce admirable, magnifiquement construite. Il ne fait aucun compromis, ce qui vient avant tout, c'est son écriture.

Il me semble essentiel qu'un artiste nous parle de lui. Dans la part de vérité qu'il nous communique, on peut espérer trouver une universalité, susceptible de toucher un grand nombre de personnes. Ce qui est insupportable, c'est l'artiste qui triche, qui prétend être autre chose que ce qu'il est.

« Il me semble essentiel qu'un artiste nous parle de lui. »

RM : Est-ce que vous envisagez des modifications pour la reprise en février au Théâtre des Champs-Élysées ?

JCM : J'ai déjà retravaillé Daphnis et Chloé pour ce programme. veut revoir certaines choses. Son pas-de-deux ne supporte pas l'imprécision dans les mouvements. Dès que les gestes deviennent un peu heurtés, le duo se transforme en une forme de lutte qui n'a plus le sens souhaité. ne touchera pas à sa chorégraphie et je ne veux pas qu'il y touche car c'est un petit chef-d'oeuvre !
se pose les bonnes questions, surtout par rapport à son défilé de mode qui tire la pièce vers quelque chose de facile alors qu'elle ne l'est pas. Je lui ai proposé de retravailler une semaine à Monte-Carlo avant la reprise au Théâtre des Champs-Élysées s'il le souhaite.

RM : Pour votre Daphnis et Chloé, vous avez travaillé en collaboration avec le dessinateur Ernest Pignon-Ernest pour le décor et pour les costumes : comment s'est déroulé votre dialogue pour cette création ?

JCM : Nous souhaitions conserver une trace des costumes travaillés de l'époque de Bakst. Mais Daphnis et Chloé, qui incarnent l'innocence, auraient dû être entièrement nus. Comme la nudité est quelque chose qui m'agace sur scène car je la trouve très rarement justifiée, j'ai demandé à Ernest Pignon-Ernest de signifier l'érotisme, voire la dimension sexuelle de la pièce, au travers du dessin. Nous avons fait une sélection parmi les nombreux dessins réalisés afin de ne pas créer de conflit dans le regard du spectateur entre les images et les danseurs. Nous voulions que ce soit très subtil, comme un paysage de corps allongés, jusqu'à l'extase de la fin. Cette relation entre le dessin et la danse rejoint l'esprit des Ballets russes.

RM : Comment avez-vous travaillé sur la musique de Ravel dont vous avez réduit la partition ?

JCM : Je suis un fou de musique, qui est pour moi la source principale de la danse. Beaucoup d'amis chorégraphes m'ont dit que Daphnis et Chloé était impossible à chorégraphier. C'est vrai que c'est une musique difficile. J'ai préféré les deux Suites à la version longue qui amène un pathos et une narration dont je ne voulais pas. Il me paraissait plus intéressant de concentrer l'argument sur l'essence de l'histoire.

RM : Qu'est-ce que les Ballets russes ont encore à nous dire aujourd'hui ? Pourquoi revient-on encore et toujours à ces œuvres ?

JCM : C'est tragique qu'ils aient encore autant à nous dire ! Lorsque l'on crée de nouvelles œuvres dans une compagnie comme la mienne, il n'est pas possible de faire abstraction de son histoire et l'on revient souvent à des argumentaires historiques. Diriger n'a de sens que si l'on prend en considération le lieu où l'on se trouve et son histoire. J'ai eu la chance extraordinaire de trouver un lieu en adéquation avec ma pensée chorégraphique. Diaghilev est le premier à avoir pensé à composer des programmes mixtes. Les Ballets russes, qui furent la première compagnie de création au monde, sont la matrice de toutes les compagnies d'aujourd'hui.

Entretien réalisé le 9 décembre 2018, à l'Opéra de Monte-Carlo.

Crédits photographiques : Photographie n°1 : JC Maillot © Felix Dol ; Photographie n°2 : Daphnis et Chloé © Alice Blangero

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