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Au Bozar de Bruxelles, Herbert Blomstedt simplement immense

Quelques semaines après un passage à Luxembourg, dans le cadre de la tournée des Wiener philharmoniker, retrouve le Bozar de Bruxelles pour une classique paire de symphonies allemandes (Mendelssohn et Brahms) et une brève page de dans des interprétations irrésistibles et inouïes de beauté.

L' d'Amsterdam et le Bozar de Bruxelles ont tissé depuis de nombreuses années d'étroits liens de collaboration et programmation, ce qui vaut au public bruxellois des venues pluriannuelles de la phalange batave pour des rendez-vous symphoniques souvent inoubliables. Ainsi, trois ans presque jour pour jour après un concert marqué entre autres par une cinglante et émouvante interprétation de la Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvořák, retrouve le prestigieux orchestre néerlandais.

Avec ses tout juste cadets Bernard Haitink et Christoph von Dohnanyi, apparaît comme un des Nestor, un des grands Sages de la direction de l'orchestre d'aujourd'hui, l'un des derniers représentants de cette génération de chefs pas toujours célébrés médiatiquement au fil de leur longue carrière, mais plébiscités par les meilleures phalanges puis par un public mélomane de plus en plus enthousiaste. Travailleur exemplaire, musicien ouvert à de multiples répertoires et à la création contemporaine, manager à l'autorité naturelle par son professionnalisme souriant mais impliqué, il mène depuis la fin, en 2005, de son dernier mandat de directeur musical (au Gewandhaus de Leipzig) une carrière de chef honoraire invité par le gratin orchestral mondial. D'une jeunesse physique et spirituelle sans égale à bientôt 92 printemps, il nous livre ce soir, avec une proverbiale économie dans la gestique, des interprétations d'une fraîcheur ou d'une vitalité exceptionnelles et d'un renversant engagement esthétique.

En première partie, pour la symphonie écossaise de Félix Mendelssohn, le chef réduit quelque peu l'effectif des cordes, aère ainsi les textures et rééquilibre les masses sonores au profit d'une petite harmonie fruitée et galvanisée, véritable épicentre du discours musical (notons ici un remarquable pupitre de clarinettes). Tout au fil de l'œuvre, l'incisivité des coups d'archets, le tranchant des phrasés sont savamment repensés dans une esthétique innovante, laquelle n'a rien à envier à nos modernes « baroqueux ». L'œuvre, sans doute l'une des symphonies essentielles du premier romantisme allemand, prend, ainsi projetée en pleine lumière, une tournure dramatique presque inédite loin de tout aspect brumeux, anecdotique ou même « touristique » : une impression renforcée au fil de l'œuvre, entre autres par les chromatismes bien soulignés du premier temps (singulièrement dans une coda tempétueuse à souhait), par la rythmique preste et inflexible du vivace non troppo, scherzo mené à un tempo d'enfer, ou par l'allure soutenue, quasi processionnelle, sans aucun alanguissement factice de l'Adagio. Bénéficiant d'une mise en place virtuose et précise (avec de somptueux pupitres de violons), l'allegro vivacissimo haletant mène à une péroraison grandiose mais sans lourdeur.

Après un court entracte et l'intermède de Stenhammar, splendide et interprétée avec beaucoup d'à-propos presque brucknérien, la seconde partie offre un contexte sonore et esthétique radicalement différent. Herbert Blomstedt, au geste ici beaucoup plus ample, propose dans des tempi relativement larges, une vision vivifiante, humaine et profondément tragique de la Symphonie n° 1 opus 68 de . L'orchestre cette fois au grand complet y fait montre de couleurs sensiblement plus sombres et fauves, avec ce grain sonore unique des cordes graves – dont un impressionnant pupitre de contrebasses d'une présence presque parfois menaçante. Le chef construit savamment et patiemment son interprétation, tantôt avec un lyrisme intense qui fait chanter la phrase (exposition de l'Allegro, joué avec la reprise, Andante sostenuto suffocant de beauté intérieure) tantôt par un subtil éclairage polyphonique mettant en valeur les textures harmoniques les plus drues (développement du même Allegro). Si au fil du premier mouvement, l'impact et l'urgence de l'instant priment peut-être sur une dramatisation à grande échelle du discours, le final (Adagio-allegro non troppo) s'avère beaucoup plus pensé dans sa globalité formelle et dans sa constante progression psychologique des ténèbres vers la lumière. Avec une maestria confondante, Blomstedt en pulvérise l'académisme parfois latent et les quelques temps potentiellement morts dans les transitions, et mène, avec une puissance aussi irrésistible qu'incendiaire les troupes amstellodamoises (ici dans un jour très faste, en particulier le pupitre de cors ou un timbalier très expressif ) vers une coda aussi monumentale qu'enthousiasmante. Le public ne s'y trompe pas et réserve une longue standing ovation tant aux valeureux musiciens qu'à leur chef d'un soir, qui quitte le plateau le sourire authentique aux lèvres, aussi satisfait que modeste.

Crédit photographique : Herbert Blomstedt © Berlin Philharmonic

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