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Le son d’Éliane Radigue au CCAM de Vandœuvre-lès-Nancy

Une journée immersive dans l'univers d', c'est la proposition séduisante lancée par le CCAM de Vandœuvre-lès-Nancy et son nouveau directeur Olivier Perry. C'est l'opportunité pour le public d'aller à la rencontre de cette grande dame de l'électronique qui s'entoure aujourd'hui d'interprètes complices pour concevoir acoustiquement « la musique qu'elle a envie d'entendre ».

appartient à cette lignée de créateurs, radicaux et obstinés, qui ont, leur vie durant, creusé leur propre sillon. Âgée de 87 ans, elle n'est pas dans le public pour cette journée qui lui est consacrée, et nous regrettons bien évidemment son absence. Pour autant, ce sont trois ambassadeurs de sa musique, , et , qui seront sur scène pour les deux concerts live de la soirée.

Peu connue des milieux de la musique instrumentale, se passionne très tôt pour la musique concrète et étudie dans les années 50 aux côtés de et . Elle y acquiert les rudiments du métier de studio et développe, via le solfège schaefférien, une écoute du son qui fondera l'essentiel de son travail de composition. Devenant l'épouse du plasticien Arman, avec qui elle a trois enfants, Radigue s'implique dans la vie artistique niçoise durant une dizaine d'années, avant de revenir à Paris, sur les lieux de la création sonore. Elle devient alors l'assistante/collaboratrice de dans le studio Apsome et participe, entre autres chefs-d'œuvre, à l'élaboration de l'Apocalypse de Jean en 1968. C'est ce que nous explique le conférencier Guillaume Kosmicki en ouverture de la manifestation. Images et exemples sonores à l'appui, il relate les voyages aux États-Unis de la compositrice dans les années 70, période cruciale pour elle, où elle rencontre les minimalistes de la côte Est (, Phil Glass…) ainsi que et Rauschenberg qui lui ouvrent d'autres horizons artistiques et la confortent dans une conception du temps tourné vers la spiritualité orientale. C'est à New-York également qu'elle se familiarise avec les premiers synthétiseurs analogiques, Buchla puis Arp 2500 – son « jules » dira-t-elle – avec lequel elle revient en France et compose une vingtaine d'œuvres jusqu'en 2000. Un tournant s'opère lorsque le compositeur et performer Kasper Toeplitz lui demande de lui écrire une pièce pour son instrument, la basse électrique. Ainsi nait, en 2004, Elemental II et s'inaugure une nouvelle ère pour la compositrice, moins solitaire puisque l'œuvre désormais s'élabore avec l'interprète, par le truchement de l'improvisation.

est seul en scène avec sa contrebasse à cinq cordes pour jouer Occam XIX. L'œuvre appartient à une série de soli, duos, trios, quatuors…, extensible à volonté, dont le titre en réfère au philosophe médiéval Guillaume d'Occam dont Radigue aime résumer ainsi la pensée : « The simplest always the best » (le plus simple est toujours le mieux). nous introduit dans cette musique du continuum et nous embarque au cœur du son, véritable initiation par l'écoute dont l'expérience rejoint celle de la méditation.

Conçue selon le mode de l'oralité, cette musique ne peut pas s'écrire, explique la compositrice dans le très beau documentaire d'Anaïs Prosaic, L'écoute virtuose, qui est projeté juste avant le concert du soir. Entourée de ses interprètes d'élection, Charles Curtis, Kasper Toeplitz, …, la compositrice nous parle de l'œuvre en train de se faire, qui ne peut exister qu'à travers le jeu de l'instrumentiste et sa performance in situ. Celle d' est fascinante, filmée par Gilles Paté lors de son interprétation/improvisation d'Occam XIV.

Ce sont des images, le plus souvent en rapport avec la nature et les éléments (l'eau, la vague, le fleuve, la mer…) que Radigue propose à ses interprètes au départ de la composition, une création à deux têtes donc que l'instrumentiste va co-signer : transmission orale avons-nous dit plus haut, qu'il revient aux interprètes de perpétuer. Dans le concert du soir, entre en scène avec une birbyne, instrument lituanien à anche simple sur lequel elle interprète Occam III. «  Éliane m'a donné comme thème l'Uhabia, le plus petit fleuve de France, qui se trouve au Pays Basque » raconte l'interprète (dans Éliane Radigue de Bernard Girard). Au rythme de la respiration de l'interprète, on assiste à la naissance du son, de sa couleur, à travers le lent dévoilement du spectre harmonique, dans la fragilité de la matière et l'émotion du timbre qui affleure. Occam river XIV convoque la harpe d' et la contrebasse de Louis-Michel Marion. La trame sonore vit à travers les doublures et les relais des deux instruments. La harpe sous le geste d'Hélène Breschand (le va-et-vient du fil qu'elle frotte sur toute la longueur des cordes) fait naître une matière vibratoire, traversée d'infimes variations (granulations, coloration, densité…) qui invitent à une écoute aigüe, celle qui réclame le calme et le silence. Ils règnent en maître ce soir dans l'auditorium du CCAM, au sein d'un public totalement conquis.

Occam Delta XIII réunit pour finir les trois sources sonores (contrebasse, harpe et clarinette) formant un méta-instrument inouï. Carol Robinson est à la clarinette basse, ajoutant au duo précédent l'ampleur de ses graves abyssaux et la moirure de ses sons multiphoniques : autant de micro-mouvements et de couleurs générant parfois des illusions acoustiques (on entend des voix !) dans le continuum sonore. La répétition du geste d'Hélène Breschand (presque une chorégraphie), le va-et-vient de l'archet de Louis-Michel Marion et le hiératisme de Carol Robinson à sa clarinette prennent in fine des allures de rituel.

Crédits photographiques : Éliane Radigue © Yves Arman

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