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La voix étendue de la cornemuse d’Erwan Keravec

Devant un public nombreux et réceptif, poursuit dans ce spectacle Extended VOX son exploration des possibilités offerte par l'association de la voix et de la cornemuse. Cette fois, c'est le chœur mixte qui entoure le sonneur, dirigé par .

Tout commence dans la pénombre par une ambiance sonore d'orage sur l'océan. Doucement, dans le lointain, le son de la cornemuse d' apparaît puis se rapproche. Le musicien entre dans le Grand Théâtre par une porte arrière, descend doucement les marches et monte sur scène, alors que la bande son martèle des sons industriels répétitifs. Comme souvent, croise dans sa pièce No. 20/58 pour cornemuse et bande les sons naturels et mécaniques, incitant à la réflexion sur des thèmes écologiques, culturels ou civilisationnels. Le soliste semble remonter aux origines des temps avec ses bourdons primitifs et ses sonorités mélodiques traditionnelles puis, au fil de ce parcours, fait entendre de courtes évocations de la Passion selon Saint Jean de Jean-Sébastien Bach. Goebbels envisage cette œuvre, créée en Suisse à la Pentecôte 2018, lors du Festival Schlossmediale Werdenberg, comme un chemin de croix. Cependant, la bande son en est assez rudimentaire, reposant sur deux phases assez basiques, sons naturels/sons industriels. Si la concentration et la solennité s'imposent, le message semble peut-être un peu trop simple.

Les vingt-quatre chanteurs des Cris de Paris font leur entrée et se séparent en deux chœurs antiphoniques, laissant le sonneur en retrait en plein centre de la scène, face au chef. Hermetika VIII pour cornemuse, chœur et percussions de débute par des voix parlées, sur un texte gnostique du IIIe siècle, choisi avec soin par le compositeur pour son caractère subversif et traduit en français. Il peut être difficile de juger d'une œuvre lors de sa création, quand on sait que la jouer une seconde fois permet déjà de lui donner plus d'aisance, de rondeur et de souplesse. Lors de cette première, les différentes sections qui se succèdent finissent par donner un tableau un peu long et pas toujours cohérent, que la diversité des sonorités déployées ne parvient pas à alléger. Tambourins, claves et différentes percussions surgissent par moment dans le chœur. La cornemuse assure le liant tout au long de cette œuvre fortement teintée de techniques répétitives, mais les timbres des voix ont parfois du mal à se fondre avec le sonneur. Quelques moments de grâce surgissent çà et là. C'est incontestablement la fin de la pièce qui présente le plus réussi d'entre eux : un parterre de flûtes doubles incarnant des aulos antiques est joué par tous les choristes. La sonorité magnifique qui en résulte évoque les tintements d'un carillon entendu dans le lointain, dont les bourdons de la cornemuse font ressortir les harmoniques.

Indubitablement, Slow motion_x de est le joyau du concert. Dans une atmosphère mystérieuse et onirique, tous les sons se fondent parfaitement, trilles et bourdons de la cornemuse, voix et sons électroniques actionnés au pied par , qui mène avec délicatesse cette poésie sonore. La musique semble flotter comme un souvenir lointain entre diverses strates de conscience, dans un temps suspendu détaché des préoccupations du monde. Différentes citations surgissent, participant à cette impression : la mort de Didon de Purcell, le prologue de la Musique dans l'Orfeo de Monteverdi ou encore Run du même Mitterer, créé en 2015 dans le cadre du projet SONNEURS d' pour quatuor d'instruments traditionnels bretons.

C'est en 2011 qu'Erwan Keravec, constant expérimentateur des possibilités de son instrument, a collaboré pour la première fois avec le chanteur Beñat Achiary. Cette rencontre avec la voix s'est poursuivie en 2015 avec Donatienne Michel-Dansac et Vincent Bouchot dans le projet VOX. Le projet a fait son chemin et le sonneur a su comment s'accompagner pour le mener à bien. C'est une riche idée de la part du Quartz d'avoir programmé ce concert lors du premier jour du festival Longueur d'ondes, permettant un afflux d'auditeurs curieux. Il faut noter également la présence des trois compositeurs venus assister à cette création à Brest, si loin, tout au bout du monde.

Crédit photographique : © Christophe Raynaud de Lage

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