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Lecture postmoderne du Voyage d’Hiver de Schubert par Julian Prégardien

Dans la version entièrement recomposée et réinterprétée de , propose lui aussi sa relecture du célébrissime cycle vocal. Son ténor solaire et léger contribue grandement à rajeunir et à donner une nouvelle vision du voyageur romantique.

La réécriture par du Voyage d'hiver de Schubert, œuvre qui date de 1993, transpose à un autre niveau la sempiternelle question de l'interprétation d'une œuvre canonique. Ici, ce n'est pas uniquement au chanteur d'imposer ou de proposer sa propre lecture, mais au compositeur-créateur de réécrire par les filtres des codes culturels de son époque et ceux de sa propre sensibilité, les lignes vocales et l'accompagnement d'un cycle mélodique à la richesse inépuisable. Ici, dans ce que Zender a appelé son « interprétation composée », le texte et la partie vocale sont pratiquement inchangés, même si la voix de ténor n'hésite pas de temps à autres à recourir, soutenue par l'usage de musique électronique, à une forme de Sprechgesang destiné à mettre en valeur certains aspects de son texte. C'est surtout au niveau de l'accompagnement des chants que le compositeur impose son discours, considérablement transformé par rapport à la partition originale, dont la partie pianistique, déjà, se voit confiée à un orchestre de vingt-cinq musiciens. « Dé-composant » à l'infini la musique de Schubert, étirant à l'envi le matériau musical dont nous assistons au double processus de « dé-construction »/« re-construction », jouant à tout moment sur l'attente de l'auditeur, notamment dans son traitement des silences, Zender nous livre une partition infiniment attachante, qui enrichit considérablement notre perception du cycle de mélodies que nous croyions pourtant connaître de la première note à la dernière.

Succédant à Hans Peter Blochwitz et à son propre père, qui ont tous deux gravé autrefois la version « Zender » du Winterreise, le jeune fait merveille dans une partition généralement réservée, et sans doute à tort, à des chanteurs de la maturité. Son ténor léger, sa diction claire et limpide, sa musicalité sans faille dressent du célèbre voyageur de Schubert un portrait résolument juvénile et en cela pleinement convaincant. Partant des affres de l'amour pour arriver à un drame quasi existentiel, ce « voyage » comptera sans doute parmi les lectures marquantes des dernières décennies. Quel que soit le plaisir que l'on a à entendre l'accompagnement composé par Zender, on espère cependant entendre prochainement ce que fera dans la partition originale de Schubert. Au sujet de cet « accompagnement » orchestral, on saluera tout particulièrement le climat d'angoisse que crée la direction haletante de , à la tête de la Deutsche Radio Philharmonie, fusion des anciens orchestres de Saarbrücken et Kaiserslautern dont fut, pour le premier, le chef attitré de 1972 à 1984. Tout, finalement, n'est qu'affaire de famille.

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