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Les sept péchés capitaux : Brecht, Weill… et Peaches

Après tant d'autres stars du rock, la chanteuse s'empare de la musique de , pour un résultat terriblement terne.

Cela faisait plus de vingt ans qu'aucune coproduction réunissant les trois composantes des Théâtres nationaux de Stuttgart (opéra, ballet et théâtre parlé) n'avait vu le jour. L'entrée en fonction simultanée de trois nouveaux intendants à la rentrée 2018 pouvait sembler une bonne occasion d'unir toutes ces forces. Mais cette promesse transgenre bien dans l'air du temps n'est pas tenue : le spectacle qui en sort se contente de faire de quelques solistes de chacune des troupes les faire-valoir d'une (relative) star du rock, , dont le féminisme et la transgression sont les principaux arguments de vente. La soirée se compose ainsi de deux blocs principaux, les Sept péchés capitaux de Brecht et Weill dont elle est la soliste principale et une réinterprétation du même thème par elle-même. Pour quoi faire, à vrai dire ? Peaches chante l'histoire grinçante de la double Anna, exploiteuse et exploitée, victime consentante et manipulatrice cynique, d'une voix droite et dure qui ne laisse aucune place à l'humour du texte (chanté en anglais, et avec micro). Caricature de protest song, caricature de coolitude branchée ? Caricature en tout cas.

Avec le danseur et chorégraphe et la metteuse en scène Anna-Sophie Mahler, elle a choisi d'accompagner la pièce d'un combat de boxe, entre Stiens lui-même et l'actrice Josephine Köhler : on peut difficilement trouver une idée plus éculée, et il aurait fallu la développer un peu plus pour éviter l'implacable monotonie qui pèse sur toute cette première partie. La chorégraphie et la danse de Stiens méritent certes qu'on s'attache à elles, mais elles ne sont jamais que décoratives. On ne peut qu'être soulagé quand, après les dernières notes de ce Weill empesé, Josephine Köhler prend la parole pour définir avec les mots de Virginie Despentes un féminisme du quotidien à mille lieues des pages glamour des magazines qui en font un fond de commerce : le texte est fort, l'actrice est habitée, mais le moment est trop court.

La scène se transforme alors en une scène de concert rock, et l'ambition théâtrale modeste de l'heure précédente s'évanouit alors complètement. Le thème des péchés capitaux va comme un gant à une artiste qui s'est fait connaître pour un usage cru de la sexualité comme transgression d'une bienséance normative. Le public, ce soir, est composé en partie du très bienséant public habituel des théâtres nationaux mêlé à un nombre non négligeable de fans de Peaches : une fois sortis des clubs branchés qui s'applaudissent de leur absence de limites, ces textes très simples ne provoquent aujourd'hui plus personne. La musique, elle, se limite à des rythmes électroniques toujours différents et toujours pareils – le critique de musique classique n'est ici pas très à l'aise, mais il peine de toute façon à voir où pourrait se cacher l'audace artistique. L'orchestre revient alors pour jouer la courte Question sans réponse de Charles Ives, tandis que la danseuse Melinda Witham semble vouloir attirer l'attention sur le poids de ce que nous venons de voir. Invitée par John Cranko lui-même à rejoindre sa troupe en 1973, elle apporte une présence qui mérite le respect – mais c'est peu dire que sa gestuelle tombe ici à plat.

Pris dans son ensemble, ce spectacle ennuie sans doute d'autant plus que tout y est implacablement sérieux et convaincu de son importance. La date de péremption de la provocation est toujours dangereusement courte, et on ne peut s'empêcher de sourire au mécanisme implacable qui s'empare, avec le temps, des icônes de la contre-culture, venues chercher une légitimation dans les institutions les plus établies qui soient.

Crédits photographiques : © Bernhard Weis

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