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À la Scala de Milan, Manon Lescaut de Puccini dans sa rarissime version originale

Au-delà de son intérêt musicologique, cette nouvelle production milanaise de Manon Lescaut tire son indiscutable attrait de l'interprétation poignante de , de la direction flamboyante de et de la somptueuse mise en scène de .

Dans le cadre de son intégrale des opéras de Puccini, le directeur musical de la Scala surprend une fois de plus par son insatiable curiosité musicologique. Après Turandot complété par Berio, après La Fianciulla del West donnée sans coupure, après Madame Butterfly dans sa version originale de 1904 qui lui avait valu les foudres de la petite fille du compositeur Simonetta Puccini, poursuit son inlassable retour aux sources pucciniennes avec cette nouvelle production de Manon Lescaut dans sa rarissime version originale de 1893, exécutée pour la première fois, ce soir, sur la scène scaligère.

Inspiré de la Manon de Massenet (1884), contemporain de la création de Falstaff à Milan, Manon Lescaut affirme clairement Puccini comme l'héritier chronologique de Verdi, mais avec des différences notables qui marquent un changement d'époque, annoncé par d'importantes innovations harmoniques, ou encore par la présence de leitmotivs, comme un clin d'œil à Wagner que Verdi fit toujours mine d'ignorer. Créée au Teatro Regio de Turin le 1er février 1893, cette version originale, secondairement modifiée par le compositeur, se démarque de la version créée à la Scala en 1894 par un final des actes I et IV quelque peu différents, par des couleurs orchestrales plus riches, par une exigence vocale plus marquée et par l'accent mis sur la modernité de l'écriture puccinienne.

Fruit d'une genèse compliquée, écrit à plusieurs mains, le livret nous conte l'histoire de la rencontre amoureuse de Manon et du Chevalier Des Grieux. Amour-passion qui tournera court pour renaître dans l'adultère, condamnant les amants à l'exil, à la déportation, à l'abandon, puis à la mort. Univers de la passion, du drame qui ne laisse, hélas, pas beaucoup de place à une relecture, aussi s'en tient-il à une sage transposition s'articulant autour du thème du chemin de fer, emblématique de l'époque du compositeur, sans aucune considération socio-politique, valorisant plutôt une vision psychologique centrée sur les deux amants. Point de message subversif donc, dans cette mise en scène qui accentue délibérément et avec pertinence les différences marquantes avec la Manon de Massenet. Ici, opéra vériste oblige, l'héroïne est une femme mûre, un peu libertine, un rien courtisane, volontiers cupide, à mille lieux de l'image de la Manon tendre et naïve du compositeur français dont évoque, toutefois, l'éphémère image grâce à un avatar un instant aperçu au début du I. La luxueuse scénographie, très réussie, de Leslie Travers utilise quatre tableaux classiques en parfaite adéquation avec le livret. Très « eiffelienne » et métallique, elle explicite chaque acte : la gare au I, le fastueux appartement-wagon lit au II, le train et le bateau au III, la gare abandonnée envahie par le sable au IV, magnifiée par de beaux éclairages. La direction d'acteur ne souffre aucune critique, et les costumes splendides de Marie-Jeanne Lecca participent de la fête.

Hasard du calendrier, qui ouvrait la saison 2016 de la Scala avec la version originale de Madame Butterfly, reprend aujourd'hui du service pour la création de la version originelle de Manon Lescaut, chère au maestro italien qui la dirigea déjà en 2008 à l'Opernhaus de Leipzig. Titulaire indiscutable du rôle qu'elle chante depuis 2014 sur les plus grandes scènes internationales (notamment à Turin en 2017 avec Noseda, et prochainement à Berlin avec Simon Rattle) elle est, ce soir, le maillon fort d'un casting vocal d'une relative homogénéité. Sa Manon sensuelle, puissante, au timbre rond et charnu, au legato inépuisable et aux aigus parfaitement assumés donne au personnage une profondeur poignante dans le le duo d'amour passionné : « Ah ! Vieni ! Colle tu braccia » comme dans le drame final : « Sola, perduta, abbandonata ». , remplaçant au débotté Marcello Alvarez souffrant, campe crânement, malgré quelques accrocs, un Chevalier Des Grieux solide scéniquement et vocalement, tout particulièrement dans le déchirant : « No ! Pazzo son ! ». (Lescaut), (Geronte di Ravoir) tiennent vaillamment leur place respective. Décevant, (Edmond, Maître de ballet) joue mieux qu'il ne chante, tandis qu' séduit en chanteuse, malgré sa participation vocale modeste.

L'Orchestre et le Chœur de la Scala ne sont, sans doute, pas les moindres atouts de cette soirée, bien que semble parfois se laisser emporter par la fougue et l'éloquence du discours, au risque de mettre quelque peu en péril l'équilibre avec les chanteurs. Beaucoup de couleurs, de nuances, de relief et de dynamisme dans cette interprétation très narrative d'où se détachent encore de belles individualités comme la splendide clarinette au I, où le violoncelle solo lors de l'intermezzo du III, pour parfaire un grand moment d'opéra.

Crédit photographique : © Brescia / Amisano

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