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Poignant War Requiem de Britten par Daniel Harding à la Philharmonie

Le War Requiem  de Britten sollicite le meilleur de ses interprètes. les y conduit avec des gestes d'une grande douceur.

, objecteur de conscience ayant quitté momentanément l'Angleterre pour les États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, pacifiste militant et humaniste à la personnalité marquée par la thématique de l'individu victime du rejet des autres, a composé cet étrange War Requiem en 1961-1962, créé cette année-là pour la re-consécration de la cathédrale de Coventry, détruite par les bombardements allemands de 1940. Il y alterne des textes en latin du requiem et des poèmes en anglais de Wilfrid Owen, mort au combat en novembre 1918. Ce dernier, pacifiste et de notoriété publique homosexuel à cette époque où le Royaume-Uni le tolérait encore si peu, est une voix en écho à la personnalité de Britten, qui lui permet de faire de cette œuvre non liturgique un hommage aux morts des deux grandes guerres du XXᵉ siècle, en même temps qu'une réflexion poétique sur le mal, où l'espérance et la consolation ont un goût amer, malgré la présence angélique du chœur d'enfants.

Au début du concert, l'installation des interprètes dans la Grande salle de la Philharmonie de Paris témoigne de la construction particulière de ce War Requiem. , la soprano, descend les marches des gradins du fond, où s'installe le chœur qui la suit. Une douce lumière blanche la distingue, comme l'éclairant de l'intérieur. L'orchestre juxtapose ses nombreux pupitres avec, visibles sur la droite du fait de leurs places inhabituelles, un orchestre de chambre qui comprend timbales et percussions. Le ténor et le baryton sont à la gauche du chef et installent vite leur complicité émotionnelle. La soprano et eux ne sont pas les trois solistes d'un Requiem : elle est la soliste du chœur, ils sont deux soldats au front ou dans les tranchées. On est troublé de ne pas voir de chœur d'enfants.

Après l'introït de l'orchestre et du chœur mixte, avec aux cloches le dissonant triton qu'on retrouve au long de l'œuvre, évoquant la présence sous-jacente du mal, les voix du chœur d'enfants, invisibles derrière les gradins du public, résonnent avec une étrangeté angélique d'une grande poésie, accentuée par l'acoustique particulière que permet cette architecture originale de la salle. On est surpris par l'intervention du ténor, d'abord véhémente, puis révélant la vocalité parfois vénéneuse si particulière à Britten, très bien amenée progressivement par . Après le contraste saisissant du Dies Irae, dans lequel les cuivres et le chœur, qui fait preuve de très belles nuances, évoquent les sonorités des combats autant que la liturgie, le baryton , accompagné notamment d'une flûte qui peut évoquer le piccolo de l'air de Billy Budd condamné, émeut et trouble par l'étrangeté de sa mélodie, par ses premiers mots presque hésitants, sans lyrisme. Sa voix contient la lassitude qu'elle doit exprimer. Il montrera qu'elle peut aussi être puissante et timbrée… intervient ensuite dans une grande déclamation, en latin comme toute sa partition. Celle-ci ne lui donne pas l'occasion d'exprimer des nuances aussi subtiles que les deux voix masculines, même si elle touche dans le beau lamento du Lacrimosa avec le chœur.

Les passages en duo du ténor et du baryton sont particulièrement émouvants. Ils y créent l'intimité et l'émotion de leurs poèmes partagés. À la fin, dans « Étrange rencontre », le soldat descendu sous terre pour échapper au champ de bataille rencontre l'ennemi qu'il a tué. Toute l'horreur de la guerre où c'est au fond soi-même que l'on tue. On est bouleversé par leur « Dormons maintenant » à deux voix, le chœur, la soprano et les enfants concluant doucement pour qu'ils reposent en paix. Amen.

Crédit photographique : © Julian Hargreaves

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