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Heinz Holliger, un poète de 80 ans

Pour son anniversaire, ResMusica rend hommage à un artiste discret et indispensable.

a aujourd'hui, ce 21 mai, 80 ans. Plus d'une décennie le sépare donc de la génération fantastique des compositeurs nés dans les années 1920, les Boulez, Ligeti, Stockhausen, Nono qui ont réinventé la musique occidentale dans l'après-guerre. Que faire face à ces modèles écrasants, que faire aussi face au conservatisme de la vie musicale suisse dans laquelle il grandit ? Le plus étonnant chez Holliger, c'est peut-être qu'il parvient à dépasser ces deux limitations créatrices sans vraiment prendre la peine de les affronter : il a travaillé avec , et il en a retenu beaucoup ; il s'est nourri comme cette génération des années 1920 de la musique de Schönberg et de ses élèves ; mais le chemin qu'il a suivi n'a jamais été celui d'un épigone. Dans une œuvre de jeunesse comme Der magische Tänzer (1965), on peut certes facilement entendre l'influence du Schönberg de Pierrot Lunaire ou de L'échelle de Jacob, mais ce n'est guère qu'un moment dans son œuvre.

Holliger est d'abord l'élève de , qui avait lui-même étudié avec Bartók et Kodály, et dont la pédagogie avait le grand mérite d'apprendre à ses élèves d'abord la liberté et l'accomplissement personnel. La musique de Holliger ne ressemble à aucune autre, et elle ne se préoccupe même pas de se ressembler à elle-même – elle n'est pas un produit de marque immédiatement identifiable, mais le parcours libre d'un artiste qui se laisse porter partout où son inspiration le pousse.

Holliger suit dans son œuvre des voies très personnelles, mais c'est un artiste en symbiose et en dialogue avec des artistes de tous les horizons et de tous les temps. Des interprètes comme Christian Gerhaher, Juliane Banse ou Tabea Zimmermann sont bien plus que de simples vecteurs de sa musique, et la longue liste des dédicaces et des hommages à ses amis compositeurs va de Boulez à Kurtag, de Carter à Takemitsu, sans oublier Veress, montre son insertion dans des courants esthétiques divers. Mais un compagnonnage tout aussi intense lie Holliger à Schumann, ou à des poètes comme Philippe Jaccottet ou Robert Walser. La littérature est une source d'inspiration constante, ce qui explique sans doute la place de la voix dans son œuvre, jusqu'à l'opéra : Blanche-Neige, sur un dense texte de Walser, et Lunea, sur le chemin du poète Lenau vers la folie, sont peut-être trop littéraires pour devenir jamais très populaires, mais quels chefs-d'œuvre !

Holliger est aussi un instrumentiste, l'un des plus grands hautboïstes de la seconde moitié du XXe siècle, à l'aise aussi bien avec le répertoire classique qu'avec la création de son temps. Pour comprendre qui est le hautboïste Holliger, le mieux est peut-être d'écouter le concerto que lui a écrit en 2009 : même par un autre instrumentiste, c'est un portrait musical tellement parlant que vous le verrez devant vous.

Cette qualité d'instrumentiste n'est pas qu'une anecdote : non seulement elle l'a placé tout au long de sa carrière au centre d'un réseau d'amitiés musicales, mais elle l'a sans doute conduit à un sens exacerbé du timbre instrumental, parfois à grands traits, plus souvent encore en scintillements délicats qui ont une séduction immédiate : la version orchestrale des Six Lieder sur des poèmes de Christian Morgenstern en est un bel exemple parmi d'autres. Holliger aime les alliances de timbre inhabituelles : il a créé beaucoup d'œuvres pour harpe et hautbois avec son épouse Ursula ; l'une de ses œuvres majeures, le cycle Induuchlen, est écrite pour contre-ténor et cor naturel. La beauté sonore pour elle-même n'est naturellement pas une fin en soi pour lui, et beaucoup de ses œuvres sont très loin d'un pur hédonisme sonore ; la conscience au monde qui s'exprime dans son oeuvre est au contraire souvent douloureuse. La tension est chez lui permanente entre les déchirements intimes et les visions idéales de l'artiste : Holliger est un musicien aimable et un passeur chaleureux, mais son oeuvre est celle d'un artiste écorché dont l'œuvre ouvre des abîmes.

Crédits photographiques : Image de une © Julieta Schildknecht ; joue sous la direction de , Donaueschingen 1963 © Willy Pragher

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