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Reliquien, une méditation à deux voix de Jacques Lenot

ne parle jamais de ses œuvres en terme d'écriture musicale. Il se contente d'en éclairer la genèse, entre souvenir visuel et réminiscence littéraire pour Reliquien, titre du quatrième album produit par L'oiseau prophète, le propre label du compositeur.

Le désir premier est d'écrire pour , trompettiste avec qui Lenot collabore depuis une dizaine d'années maintenant. L'impulsion créatrice, quant à elle, provient des images saisissantes d'une installation vidéo sur le camp de Terezin, vues au Musée du Chiado de Lisbonne. L'exergue de José Lezama dans Paradiso revient alors à la mémoire du compositeur : « On dirait que nous caressons un souvenir qui s'évanouit et revient sous forme d'une pierre qui cèle ce souvenir même ».

Reliquien (Reliques en allemand) pour trompette et piano ( et ) est la manière lenotienne, litanique et processuelle, de cristalliser ce souvenir : telle cette figure inaugurale, exposée neuf fois par le piano dans un temps étal et des configurations toujours renouvelées, qui n'est pas sans évoquer l'économie et la combinatoire webernienne. La variation et tous ses ressorts sont à l'œuvre dans les quarante-huit « déclinaisons » (seize pour chacune des trois parties) au sein desquelles la prolifération des figures aux deux instruments ne ménage pas moins des retours. Chacune des parties utilise en effet le même matériau mais jamais de façon littérale, à l'image du « mobile » modifiant sans cesse ses angles de vue : inversions de registres, procédé d'augmentation ou diminution rythmique, modifications des dynamiques maintiennent l'oreille captive et jouent avec nos attentes. Si les deux instruments peuvent intervenir seuls et échanger leurs propositions, ils se superposent le plus souvent, engendrant une double figure ou de courts processus discursifs dans des registres souvent opposés. Lorsque le piano avance en clusters dans le médium-grave, la trompette réplique par de brèves ponctuations dans l'aigu, comme deux voix qui ont besoin l'une de l'autre et sont liées l'une à l'autre.

À l'œuvre également, via les diverses techniques de jeu de la trompette, les variations d'espace et de profondeur sont fonction de la qualité du son émis, brillant ou mat, proche ou lointain, confiné ou dans sa plénitude. nous surprend à chaque nouvelle sourdine utilisée, affinant d'autant son nuancier de timbres. Le son est lisse ou « ridé » comme la surface de l'eau. Au léger flatterzunge de l'instrument à vent, répondent les trémolos, oscillations et autres irisations du clavier, laissant ou non s'éployer la résonance, entre transparence et opacité de la matière. Mystère et fragilité habitent le jeu des deux interprètes en parfaite synergie. Ces derniers nous invitent à une écoute active qui s'aiguise au fil de la trajectoire, au sein d'un espace où s'exerce la dialectique du mobile et de l'immobile.

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