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Inghelbrecht, à la recherche d’une mémoire perdue

Figure majeure du microcosme musical parisien de la première moitié du XXe siècle, Inghelbrecht nous raconte ici l'aventure d'une vie consacrée à la musique.

Il nous parle du métier, de la place de la culture, de l'état, des directeurs de théâtre, de la politique éditoriale des firmes discographiques, du mécénat, de la passion des uns et du mercantilisme des autres. Et la question qui aujourd'hui nous vient aussitôt à l'esprit est : cela a-t-il vraiment changé ?

Inghelbrecht, chef d'orchestre, nous plonge dans l'âge d'or de la musique française qu'il n'a eu de cesse de défendre, de jouer, et d'enregistrer. Il a connu Debussy, Ravel, les Ballets russes, l'Opéra-Comique et le Théâtre des Champs-Élysées, et on lui doit la création de notre en 1934. A travers ce livre de souvenirs (première édition chez Domat en 1947), Inghelbrecht nous fait remonter le temps, ou plutôt le descendre, car son ouvrage est conçu à l'envers, d'où son titre : Mouvement contraire.

Inghelbrecht nous fait revivre une époque qui est véritablement celle de la musique française, où l'argent ne manquait pas, où les colonies aussi, notamment en Algérie, portaient cet élan artistique comme une valeur essentielle de l'identité nationale. Au regard d'aujourd'hui, cet aspect montre toute la stratégie d'un état colonialiste faisant de sa musique l'un des outils de sa propagande politique. Comme elle est terrible cette phrase inscrite en 1930 sur le mur de l'Opéra d'Alger qu'Inghelbrecht relève, comme mû par une sorte de culpabilité inconsciente : « Algérois, n'allez pas à l'opéra. Le nouveau directeur a dit que les spectacles qu'il donnerait seraient bien assez bons pour des BICOTS comme VOUS ».

Inghelbrecht sait écrire, c'est indubitable, c'est en tous cas un musicien lettré. Son ironie élégante et son observation rigoureuse de l'état de la musique en France permettent d'entrer dans ce récit comme on regarderait un documentaire, avec une caméra subjective qui se glisse là où le public ne va jamais.

A la lecture de l'ouvrage, on essaie d'imaginer l'effervescence et la transparence des musiques qu'il défend. Car ce récit retrace admirablement, avec précision, ce que fut le fonctionnement d'une épopée où les compositeurs contemporains étaient défendus. Il nous montre, point par point, que la création faisait encore partie des prérogatives essentielles du pays, où la danse et la poésie n'étaient pas en reste.

Une réédition bien venue pour un témoignage d'une honnêteté sans faille, où se croisent le cirque Médrano, le port du smoking, l'écrivain Jean-Paul Fargue, Pelléas, Cocteau, Diaghilev, la question du cinéma sonore entrainant la suppression des petits orchestres, bref, toute la marche du progrès mise en musique.

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