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Le piano orchestral de Boris Giltburg dans les Préludes de Rachmaninov

conçoit les deux cycles de Préludes de Rachmaninov comme un univers clos, étouffant presque et d'une grandeur inaltérable. Une vision personnelle séduisante et dérangeante à la fois.

Nous avons été parfois déçu par les disques de (ses Schumann, Beethoven et précédents Rachmaninov) en raison d'un jeu froid et raide, qui altérait le souvenir que nous gardions des récitals du pianiste, vainqueur du Concours Reine Elisabeth, en 2013. Le quatrième volume que le pianiste consacre à Rachmaninov (après, notamment, les Concertos n° 2 et n° 3 et les Etudes-Tableaux) est, toutefois, le plus réussi de la série.

La présente intégrale s'ouvre par l'inusable Prélude en ut dièse mineur composé en 1892, une décennie avant le premier cycle de l'opus 23. Un coup de maître pour lequel joue habilement des contrastes d'atmosphères. Il “orchestre” son piano avec beaucoup de panache, utilisant avec talent un Fazioli à la fois massif dans le grave et assez uniformément métallique dans l'aigu. Un instrument délicat à jouer, mais dont les qualités et défauts intrinsèques sont, ici, bien exploités.

Giltburg se lance dans l'opus 23 en créant une véritable progression narrative, mesurant les tempi, jouant de l'approfondissement progressif de l'écriture sur le plan harmonique. Certains préludes prennent ainsi l'allure d'un nocturne, d'une méditation et, d'autres, la fougue haletante d'une cadence de concerto, voire d'un petit poème symphonique. L'interprète n'évite pas toujours l'écueil de la surcharge avec des ralentendos un peu trop accentués, des contrastes d'accords grandiloquents. Les effets de vagues sonores et d'échos, les jeux de cloches si essentiels chez Rachmaninov sont restitués avec caractère. C'est à l'Ile des morts que l'on songe plus souvent qu'à des saynètes d'une Russie païenne. Rien n'est plus éloigné de ces Préludes si redevables à Chopin et Tchaïkovski, que l'univers d'un Moussorgski.

Nous sommes plus encore dans l'écriture des concertos (celui en ré mineur est achevé en 1909) dans le cycle suivant, l'opus 32, de 1910. Boris Giltburg épaissit les couleurs jusque dans les pièces les plus sobres mélodiquement (Prélude n° 5 en sol majeur). Il pense les phrases dans leur entièreté, d'un seul élan. Elles semblent inexorablement attirées par la chaleur des basses, comme figées dans les teintes sombres du clavier. Cette lecture très personnelle enrichit une discographie pléthorique dans laquelle s'imposent bien des interprètes, de à en passant par , Nikolai Lugansky, , , et .

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