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La force intranquille du clavecin de Frescobaldi par Christophe Rousset

Jusqu'à présent, le claveciniste nous avait principalement proposé des enregistrements de musique française ou de Bach, avec un détour par l'oeuvre de Froberger. C'est la première fois dans sa discographie soliste qu'il fait une incursion du côté du premier baroque italien, avec le maître incontesté de cette époque, .

Dans la première moitié du XVIIe siècle, la renommée de Frescobaldi, organiste de Saint-Pierre de Rome, dépasse largement les frontières italiennes. Son influence est considérable sur les clavecinistes allemands aussi bien que français, et sa musique circule dans toute l'Europe. On peut affirmer que Frescobaldi est le premier grand compositeur à avoir donné ses lettres de noblesse au clavecin. L'édition de son Libro primo de 1615 sera augmentée de nombreux ajouts jusqu'à l'édition définitive de 1637, et l'on voit son écriture se complexifier et s'enrichir au fil du temps. Dans ses avvertimenti, il donne de précieux conseils à l'interprète : faire chanter le clavecin, assouplir la ligne mélodique, souligner les affects par l'ornementation, tout concourt à faire du clavecin un instrument incroyablement expressif. Les changements rythmiques sont l'innovation la plus importante dans cette écriture déclamatoire.

C'est ce que rend à merveille le jeu intelligent et sensible de , qui nous offre là une interprétation parfaitement maîtrisée de ce style baroquissime. Les toccatas sont un manifeste pour l'art de la déclamation et la liberté de l'interprète, dans une alternance de sections à la virtuosité échevelée et d'autres d'une construction contrapuntique plus rigoureuse. Les fréquentes ruptures métriques et les harmonies riches de dissonances inattendues font que l'oreille de l'auditeur est en permanence aux aguets. Cette écriture contraste avec celle des partite et des danses (correnti, ciaconna et passacagli), où l'on retrouve le système des variations issu de la Renaissance. Particulièrement admirables sont les Cento partite sopra passacagli, où Frescobaldi explore à l'envi les effets du chromatisme sur l'expressivité, sans perdre le fil d'une métrique volontairement assouplie par l'interprète.

Le clavecin anonyme de la fin du XVIe siècle qu'a choisi pour cet enregistrement rend un parfait hommage à l'écriture de Frescobaldi. Cet instrument a été restauré en 2000 par David Ley dans son étendue d'origine (quatre octaves avec octave courte dans la basse), et l'accord au tempérament mésotonique colore avec la verdeur nécessaire. Et sous les doigts virtuoses de Christophe Rousset, le clavecin chante et nous enchante.

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