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Mémoire sonore par le Quatuor Béla

Trois frères de l'orage, le titre de ce nouvel album du , exprime d'emblée le drame latent. Schulhoff, Haas et Krása, tous trois tchèques et compositeurs juifs ont été les victimes de l'horreur nazie, morts en déportation. Les Béla rendent hommage à ces trois musiciens aux destinées tragiques.

De forme et d'écriture très différentes, les trois quatuors de l'enregistrement témoignent de la singularité de chacun des compositeurs et de leur liberté prise à l'égard du genre. Le moins connu des trois, est un élève de Zemlinsky. Un rien académique, son Thème et variations (1935-36) vient après un premier Quatuor à cordes op. 2 composé en 1921. Krása reprend une mélodie très connue des Pragois qu'il soumet à six variations relevant d'une science de l'écriture certaine, qui ne va pas sans distance (3) voire un brin d'humour (4). C'est en tout cas ce que fait passer l'interprétation des Béla dont l'élégance du jeu et l'homogénéité des pupitres ravissent.

Comme Janáček dont il a été l'élève, fait de son Quatuor n° 2 (1925) une œuvre à programme intitulée  « Des montagnes du singe » : Paysage, Calèche, Cocher, Cheval, La Lune et Moi, Nuit sauvage sont les titres qui jalonnent cette forme narrative en quatre mouvements qui ne dédaigne pas les illustrations sonores : tel ce hennissement dans un deuxième mouvement pittoresque qui semble se régler sur les allures capricieuses du cheval. Le souci du détail donne lieu à une écriture cursive admirablement restituée sous l'archet des quatre interprètes. Avec ses ostinati rythmiques nerveux, Paysage est le mouvement le plus étonnant, par la variété de ses éclairages et l'espace mouvant qui s'y dessine. Sans forcer le trait et dans le jaillissement du rythme et des couleurs où affleure toujours le chant populaire, les Béla gorgent ces pages d'une énergie très communicative.

Énergétique également est le Presto con fuoco qui débute le Quatuor à cordes n° 1 d', le plus attachant des trois. L'œuvre en quatre mouvements se cale davantage sur le moule traditionnel, si ce n'est qu'elle se termine par une partie lente (Andante molto sostenuto), la plus développée des quatre. L' Allegro giocoso alla Slovacca qui la précède regarde vers Bartók et son folklore imaginaire, avec des recherches de sonorités (le « flageolet » du violon) et une conduite rythmique sans faille dont les Béla magnifient l'écriture. Leur second mouvement, Allegretto con moto et con malinconia grotesca est une perle, quant à la finesse du rendu sonore s'agissant d'une écriture où la dimension du timbre prévaut. Plus introspectif et énigmatique, le dernier mouvement n'est pas moins étonnant, par son chemin labyrinthique et les contrées plus obscures qu'il traverse. Les couleurs et la synergie des quatre cordes sont remarquables, servies, il faut aussi le souligner, par une qualité d'enregistrement optimale.

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