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Un ambitieux début discographique du pianiste Can Çakmur

Le début discographique de est une réussite révélant un jeune artiste doué et sensible.

 

Né en 1997 à Ankara, (prononcé : Djahn Tchakmour) est le gagnant du Concours international de piano d'Écosse en 2017, ainsi que du 10e Concours international de piano Hamamatsu en 2018. Pour son premier album, paru dans un emballage recyclable « écopak » en carton, il aborde des œuvres englobant plusieurs périodes de l'histoire de la musique, ce qui lui donne la possibilité de s'exprimer dans plusieurs styles, y compris en contemporain, et, de cette façon, de montrer ses capacités et ses moyens.

Force est d'avouer que, premièrement, est un peintre des sons. Un artiste qui se sert d'une palette raffinée et claire, soignant les contours et dosant les nuances avec imagination, mais aussi exactitude. Il en découle une sonorité épurée et perlée, même cristalline, au timbre tantôt chaud et brillant, tantôt – pour les basses – sculpté dans le marbre. Deuxièmement, il est un poète des sons : chaque pensée paraît faire l'objet d'une réflexion approfondie, et aucune mesure, voire aucune note n'est accidentelle au sein du discours olympique qu'il nous fournit. C'est ainsi que la cantilène de l'Adélaïde de Beethoven dans la transcription de Liszt, tellement détestée par Chopin selon les souvenirs de Georges Mathias, se pare ici de mille teintes, d'une distinction rare et d'une ligne de chant nette et scintillante.

Sa Sonate pour piano n° 7 en mi bémol majeur D. 568 de Schubert est baignée de lumière, tout autant qu'empreinte de brio et d'élégance. Cette musique semble donc couler de source : naturellement, avec perspicacité, de même qu'avec une certaine gracilité. Par la suite, on se délecte de la suavité d'un Andante con variazioni de Haydn rêveur et sublimé par la profondeur du toucher et la délicatesse du phrasé.

Pour l'exécution de La Terre noire de , Can Çakmur nous laisse savourer la splendeur imaginative de cette adaptation d'une chanson qui constitue un habile mélange de la musique folklorique turque et de la musique classique occidentale. Comme la mélodie originale se voit accompagnée du bağlama, un instrument à cordes pincées qui fait penser au luth, Say propose, au début et à la fin de ce morceau, un effet qui consiste à étouffer les cordes d'une main afin de jouer sur les touches de l'autre.

L'interprétation d'En plein air de , une suite de cinq pièces, révèle une face bien différente de Can Çakmur : celle d'un artiste dont le jeu veut rappeler que le piano est un instrument de percussion par excellence qui, oui, s'entoure de sonorités envoûtantes, mais dont le but principal est de souligner l'importance du rythme, un facteur moteur fondamental dans la lecture de cette page.

Le récital se clôt sur l'exécution de Sacrifice de , compositeur qui affirme son identité de chrétien. Dans cette partition, et selon ses propres mots, il contemple le sacrifice de Jésus-Christ sur la croix, mais également exprime son regret face à l'accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima à la suite du séisme au Japon de 2011. Il rend aussi hommage à l'art du réalisateur soviétique Andreï Tarkovski, dont le dernier film est intitulé Le Sacrifice. Cette mosaïque, qui sous les doigts de Can Çakmur se distingue par la transparence des textures et un éventail de couleurs riche, nous fait percevoir, entre autres, des échos d'un choral allemand de l'époque de la Réforme (O Lamm Gottes, unschuldig qui est chanté par le chœur ripieno dans l'introduction de la Passion selon saint Mathieu de Bach).

Voici un début discographique impressionnant par le raffinement du jeu du soliste, tout autant que par l'une des plus captivantes, sinon la plus belle prise de son du piano (due à Ingo Petry) que nous ayons pu écouter.

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