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Berezovsky souverain dans Scriabine et Rachmaninov au TCE

Annulé plus tôt dans la saison, le récital russe de trouve sa place au Théâtre des Champs-Élysées en ce début d'été, alors que la chaleur est fortement montée à l'extérieur. Souverain sur tout ce qu'il touche, le pianiste nous emmène pour un voyage débuté par Scriabine et achevé par Rachmaninov, avant trois courts bis de Scriabine.

Peut-être les programmateurs se sont-ils inquiétés de quelques possibles abandons après Rachmaninov, car ce compositeur d'abord prévu en introduction est finalement annoncé en seconde partie. Le récital de saison de à Paris ouvre donc avec Scriabine. Et déjà, la délicatesse du jeu se montre dans le premier des Deux poèmes, opus 32, interprété malgré tout avec ce doigté russe typique, plus martelé que celui de l'école occidentale. La Sonate n°4 s'enchaîne directement et montre la dextérité toujours intacte du pianiste, dans un déluge d'arpèges toujours parfaitement exécutés. Une légère pause permet au public d'applaudir, avant une reprise pour près de trente minutes de musique, faite de Fragilité, de Caresse dansée et de Désir, avant une Sonate n° 5 dévastatrice, jamais poussée dans sa modernité, mais exécutée avec une célérité et une frénésie pour laquelle une interruption par des applaudissements n'auraient pas été de trop. Berezovsky conclut pourtant la dernière mesure par une tonalité mate accentuée, et peut alors se reconcentrer quelques secondes dans le silence et enchaîner directement avec les Trois Études opus 65. La Sonate n° 9 opus 68, dite « Messe Noire », achève dans un ordre quasi chronologique la partie du programme dévolue à Scriabine, avant que l'on n'y revienne aux bis, tous trois consacrés à un compositeur dont le génie n'est maintenant plus à prouver.

La seconde partie, intégralement consacrée à Rachmaninov, commence encore par la fin par rapport au plan initial. Là où l'on s'attendait à un enchaînement de transcriptions, débutent les accords de la Sonate n° 2 en si bémol mineur opus 36. La beauté tout juste esquissée sans être jamais trop portée dans le pathos du thème de l'Allegro agitato laisse sans voix, quand le Lento n'est qu'une suite aussi doucereusement douloureuse. Porté par l'émotion d'une manière dont très peu de pianistes sont capables, le jeu reste toujours sans démonstrativité. Même dans les parties plus rapides, dont celle qui arrive après quelques minutes lors de ce mouvement médian, pour s'effacer vers un registre aigu parfaitement contrôlé, avant de rappeler le thème le plus puissant du mouvement précédent. Puis l'Allegro molto clôt cette superbe interprétation, où Berezovsky n'hésite pas à renfoncer les parties plus expansives, sans toutefois jamais abuser des pédales, afin de ne pas exagérer le phrasé par l'effet. A peine une minute d'applaudissement, et déjà il se rassoit pour reprendre avec les cinq transcriptions de Rachmaninov prévues. La simplicité mécanistique de la première, celle du Prélude de la Partita n° 3 en si majeur, ne peut que nous convier à espérer que le pianiste, à l'image de Richter avant lui, ne s'attèle bientôt sérieusement aux partitions officielles pour piano seul de Bach. Puis on passe à l'ère romantique avec le Scherzo du Songe d'une Nuit d'Été de Mendelssohn, pétillant autant que joueur, d'une agilité particulièrement impressionnante dans la partie aigüe. L'on s'attendait ensuite à Schubert, mais dernière surprise, Kreisler et la transcription de son Liebesleid s'invitent auparavant. Puis Schubert donc, et son Wohin tiré de Die Schöne Müllerin, porté par un magnifique cantabile, duquel le piano ressort comme une véritable voix. La Berceuse de Tchaïkovski transcrite pour piano seul conclut dans la douceur ce splendide récital, d'un artiste discret par rapport à d'autres, mais au combien supérieur à nombre d'entre eux.

Crédit Photographique : © Christophe Gremiot

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