- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Chefs-d’œuvre russes sans conviction sous la baguette de Kitaenko

Le parti-pris de diriger les Tableaux d'une exposition dans des tempi retenus peut se justifier, à condition qu'il y ait une démarche musicale affirmée. Ce n'est, hélas, pas le cas dans la lecture de avec le Gürzenich de Cologne.

Dans l'immense discographie de l'œuvre, bien des chefs d'orchestre creusent les timbres de l'orchestration ravélienne sans rompre les tensions. Sous la baguette de Kitaenko, dès la première Promenade, l'énergie a disparu. Au fil des tableaux, il ne reste qu'un mouvement d'ensemble épais, un jeu banal sur les sonorités. Il faut attendre Samuel Goldenberg et Schmuyle pour que la trompette porte le climat de la pièce. Chaque morceau semble ainsi anémié, enfermé dans une absence de choix esthétique, une mollesse généralisée (Il vecchio Castello), voire chichiteuse (Bydlo). Où est passé le pesant chariot polonais tiré par des bœufs et qui, en principe, avance avec un effet saisissant de proximité puis d'éloignement ? De leur côté, les poussins dans leurs coques semblent avoir pris du poids de manière excessive. Scherzino-vivo, leggiero-trio est-il précisé sur la partition. Drôlerie et cruauté sont vainement attendues… On n'assiste pas non plus à la traditionnelle querelle entre ménagères au Marché de Limoges et les Catacombes aux sonorités repues annoncent une sorcière Baba-Yaga prévisible, sans ongles crochus et, au finale, bien peu effrayante. La vie, la peur, l'ironie, l'humour, les expressions humaines portent une partition dont l'architecture s'avère des plus complexes. Le bel orchestre du Gürzenich assure un service confortable pendant que l'auditeur regarde sa montre. Il manque simplement une interprétation, ce que l'on entend d'Ancerl à Gergiev en passant par Dorati, Jansons, Abbado, Reiner et Karajan.

La version de concert réalisée par Maximilian Steinberg (gendre de Rimski-Korsakov) de La Légende de la cité invisible de Kitège et de la Vierge Fevronia reprend quatre moments-clé de l'ouvrage lyrique du compositeur. Préludes et interludes sont caractérisés par un fourmillement sonore, une orchestration prodigieusement inventive. Si la formation allemande est présente avec force, il manque une certaine subtilité et l'élan de la passion, tout comme dans le Cortège nuptial de Fevronia ainsi que la Bataille de Kerjenez. Comment croire à l'histoire qui nous est racontée et oublier les gravures de Jurowski, Svetlanov, Smetacek et Mravinski ?

Disciple de Rimski-Korsakov, fut ce que les Russes appellent un “miniaturiste”. Influencé par le Groupe des Cinq et Scriabine, son langage fait merveille dans les pièces relativement brèves, à l'instar du poème symphonique Le Lac enchanté. Teintée d'impressionnisme et de symbolisme, l'œuvre transpose, en sons, les effets de lumières sur les éléments naturels. Kitaenko avait déjà enregistré la partition, il y a trente ans, avec le Philharmonique de Bergen (Virgin). La présente lecture est certes plus inspirée, mais vécue au premier degré, sans beaucoup de mystère et de ces couleurs étranges et envoûtantes que Gergiev, Petrenko, Szell et Svetlanov ont su reproduire.

(Visited 465 times, 1 visits today)