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Les espaces pianistiques de Jean Barraqué par Jean-Pierre Collot

Les partitions pour piano de sont rares et précieuses, à l'image de toute son œuvre. , en parfait connaisseur, signant lui-même le livret du disque, en offre une lecture à la fois précise et expressive.

C'est un choix judicieux qu'a fait l'interprète de proposer les œuvres à rebours de leur écriture, ce qui lui permet de commencer par le monument le plus connu, la fameuse Sonate pour piano (1951-1952), seule du disque à être inscrite au catalogue officiel du compositeur, constitué seulement de six numéros au moment où il se donne la mort (1973). L'auditeur mesure tout le chemin parcouru en quelques années lorsqu'il achève l'écoute du disque par le Mouvement lent de 1947, fondé sur un extrait de l'évangile selon Saint Jean, XV-9, « Demeurez en mon amour », une œuvre encore profondément marquée par le romantisme et l'écriture tonale. Barraqué est alors tout près de renoncer à entrer dans les ordres pour s'engager sur la voie de l'athéisme, un cheminement qui coïncide avec sa découverte du sérialisme.

Il faut une certaine ascèse et une parfaite maîtrise, que Collot possède indéniablement, pour se lancer dans la périlleuse interprétation des quarante minutes de la Sonate. Ce chef-d'œuvre, enregistré ici pour la première fois dans la version révisée éditée en 2019 par Bärenreiter, est un manifeste du sérialisme intégral défendu alors par Boulez, Nono ou Stockhausen. S'agençant en fer de lance de l'avant-gardisme forcené de l'immédiat après-guerre tout en témoignant d'un rapport respectueux du compositeur à l'histoire, il fait directement référence à Schubert et Beethoven autant qu'à Debussy et Webern. Il reste cependant fermement original. Il ne fut créé que cinq ans plus tard au disque par (1957), et il fallut encore patienter dix ans pour l'entendre en concert. en offre une interprétation à la fois solide et sensible.

Pièces pour piano, une œuvre de jeunesse en cinq parties, éditée seulement en 2012 et enregistrée pour la première fois, a été écrite entre 1947 et 1949, alors que Barraqué suit les cours d'Olivier Messiaen. Les différents morceaux qui la composent sont également proposés dans l'ordre chronologique inverse de leur achèvement. Ainsi, au fil des pièces Intermezzo, Deux Morceaux pour piano, Thème et variations, Pièce pour piano et Retour, l'écriture passe du sérialisme à la modalité et au tonal, reflétant dans le même temps des couleurs encore très debussystes. Pour les précéder, Collot a choisi d'intégrer au programme une magnifique retranscription par le compositeur du Prélude du troisième acte de Tristan und Isolde (1949). Son interprétation sombre et romantique permet de mesurer toute l'admiration de Barraqué pour Wagner et sa filiation avec cet autre chantre du modernisme du siècle précédent. Cette respiration au centre du programme du disque est particulièrement appréciable après les rigueurs radicales de la Sonate. conduit avec brio ce voyage de cinq ans dans le début du parcours d'un tout jeune compositeur, qui éclaire autant sur sa carrière à venir que sur les enjeux esthétiques de cette période si déterminante de l'histoire de la musique.

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