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Charmes poétiques aux Carmélites à Toulouse

La troisième saison des concerts-lecture de Musique en dialogue aux Carmélites s'est achevée dans ce somptueux écrin baroque toulousain avec cette formule toujours aussi intéressante : faire dialoguer musiques et textes littéraires choisis par les artistes invités.


Émouvant trio de cordes et voix

C'est autour des thèmes de la terre natale, de la liberté et de l'exil que se retrouvaient la violoniste et le violoncelliste avec le très actif, voire boulimique, William Mesguish pour un récital composé de façon très originale dans un esprit poétique et de ferveur.

L'acteur ouvre le bal par un texte anonyme Terre Natale auquel répond le premier mouvement du rare Duo op. 7 pour violon et violoncelle de Zoltan Kodaly où les deux musiciens montrent rapidement une belle complicité et une écoute extrêmement attentive. Le violon d' résonne de façon ample et intense avec de magnifiques phrasés, tandis qu' rayonne naturellement avec générosité dans cette musique qu'il fréquente depuis longtemps. Très expressif, ce chambriste accompli joue par cœur cette partition post-romantique où l'on entend quelques réminiscences de Ravel. « Âme hongroise, sauvage comme un cheval fougueux » proclame Âmes au piquet d' en prélude au troisième mouvement de ce même duo virtuose d'une grande richesse expressive.

La douce mélodie de la Berceuse extraite des huit pièces op. 39 de apaise les débats en regard de Milly, ou la terre natale extrait des Harmonies poétiques et religieuses de Lamartine : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? ».

Le sommet de ce concert est sans doute la très belle Sonate pour violon et violoncelle que composa en 1920 à la mémoire de Debussy. D'un extrême raffinement avec quelques dissonances, elle fut fort mal accueillie lors de sa création à la salle Pleyel en 1922 par Hélène Jourdan-Morhange et Maurice Maréchal, mais constitue un tournant dans son écriture par un dépouillement extrême et un renoncement au charme harmonique. Ce chef-d'œuvre singulier a été considéré par la suite comme la réussite la plus forte de Ravel avec cette étonnante « musique de chats » au milieu de l'ouvrage par de hargneux miaulements dissonants, de coléreux crachements et de rauques feulements se succédant sur un fond de pizzicati uniformes. Dans le troisième mouvement Lent, le temps s'étire au violon, tandis que le violoncelle lâche des notes en cordes pincées sur le haut du manche. Très concentrées dans cette œuvre complexe, mais aussi ludique, et en donnent une interprétation superlative. Cette grande sonate est ponctuée par des extraits du Jardin du prophète de et d'Elsad'Aragon : « J'écris des rimes d'insomnie, je n'ai plus l'âge de dormir… Je ne suis qu'une rime qui cherche une rime, comme une main qui s'ouvre en vain pour voir s'il pleut… ».

La modernité de Ravel appelle une pièce contemporaine de Porque llorax ? (Pourquoi pleures-tu ?), d'après une complainte séfarade, commandée par le festival d'Obernai, créée en 2012 par la violoniste Geneviève Laurenceau et la violoncelliste Gemma Rosefield. Cette méditation intense et forte porte une émotion retenue. Elle est introduite par L'Hymne de l'homme de  : « Je lutte contre l'ignorance et l'impiété. Recherche spirituelle toujours en quête de la vérité. Toujours aveugle et sourd, je continue d'avoir une force intérieure avec laquelle je lutte contre les jours ».

Le récital s'achève par la célèbre Passacaille de la septième Suite pour clavecin en sol mineur HWV 432 de Hændel dans la transcription du compositeur norvégien Johan Halvorsen, initialement composée pour violon et alto. Une sorte de friandise pour finir sur un air connu en forme de variations avec d'amusants glissandi qui ne sonnent pas très baroque. Les deux instrumentistes s'y amusent selon un plaisir contagieux.

Le public ayant fait preuve d'une écoute très attentive en redemande et les artistes lui jouent à nouveau la fine Berceuse de Glière.

Facétieux Préludes poétiques de Debussy

Une semaine plus tard en ce même lieu, c'était au tour du pianiste et du comédien François Marthouret, de clôturer cette saison de concerts autour des douze préludes du Premier livre de Debussy en un concert astucieusement mis en scène par Andrée Benchetrit.

Une mise en scène discrète, mais vivante et ludique, qui donne un autre ton à l'aspect figé du concert. Avec les deux protagonistes habillés de blanc à la façon du début du XXᵉ siècle, nous nous imaginons à l'heure de la sieste chez Debussy, au bord d'un jardin luxuriant, avec le compositeur et son compère figurant tous les poètes accompagnant chacune des douze pièces du recueil. Les poèmes choisis par Andrée Benchetrit résonnent en adéquation naturelle avec chacun des préludes, tantôt en introduction, tantôt en conclusion, ainsi que Debussy choisissait ses titres, afin que lui-même et l'auditeur puissent laisser s'épanouir leur imagination. Parfois le poème se superpose à la musique en un étonnant mélodrame poétique comme Harmonie du soir de Baudelaire sur Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir afin de donner deux voix à une même inspiration poétique.

Le jeu complice du pianiste et de l'acteur dépasse le cliché d'«impressionniste » dont on affuble souvent Debussy et leur échange, où chacun influe sur le comportement de l'autre, dissipe le sfumato convenu pour offrir une plus grande clarté à ces pièces souvent confinées dans une atmosphère par trop diaphane. colore cette musique d'une riche palette, accentuant les reliefs parfois contrastés des pièces de caractères opposés. C'est sous ce nouvel éclairage que l'on goûte le charme envoûtant de Danseuses de Delphes et Voiles judicieusement accompagnées par Soleils couchants de et Initium des Poèmes saturniens de Verlaine. À la vigueur de Ce qu'a vu le vent d'ouest, répond un énigmatique haïku de  : « Les fleurs du cerisier tombées, le temps appartient aux branches », tandis que Sensation de Rimbaud accompagne La fille aux cheveux de lin : « Heureux, comme avec une femme… ».

lâche les lions dans une interprétation musclée de la Cathédrale engloutie avec ce terrifiant grand crescendo dont le frisson est accentué par la sombre Fiancée des corbeauxde .

Mais l'atmosphère s'allège et s'éclaircit avec le réjouissant monologue de Puck du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare : « Voici l'heure où le lion affamé rugit… »,  qui accompagne naturellement la Danse de Puck.

Foin du sérieux du concert, les deux compères quittent toute retenue pour le dernier prélude Minstrels auquel répond nécessairement J'ai une telle joie au cœur du troubadour . Le texte se mêle à nouveau à la musique et François Marthouret s'assied à côté de Cyril Guillotin au piano comme un elfe maléfique décidé à troubler le jeu de son complice en le mimant et ajoutant quelques notes imprévues.

Conquis et ravi, le public ne veut plus les lâcher et Cyril Guillotin offre en rappel et en remerciement à François Marthouret le célèbre Nocturne N° 20 op. posthume de Chopin, joué avec grande sensibilité et délicatesse.

 

Crédits photographiques : © Jean-Jacques Ader

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