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Deux inédits passionnants de Michael Gielen dirigeant la Sixième de Mahler

Des trois versions dorénavant disponibles de la Symphonie n° 6 par le chef allemand, on évoquait, jusqu'à présent, celle de l'intégrale parue chez Hänssler Classic (1999). Il est tentant de la confronter aux deux lectures de ce coffret “in Memoriam ”. La première, captée en studio en 1971 est couplée avec une version “live” de l'édition 2013 du Festival de Salzbourg. Les différences entre les trois éditions s'avèrent majeures.

Entre 1971 et 2013, la durée de la symphonie a augmenté d'un quart d'heure ! Le tempo de la première version est des plus rapides. Gielen exacerbe l'angulosité de l'écriture sans concession pour l'expression lyrique. La Symphonie n° 6 (1903-1904) apparaît ainsi comme une partition révolutionnaire, annonciatrice des “temps nouveaux”. On retrouve une telle conception chez les chefs si peu suspects de pathos, tels que Szell (1967), Scherchen (1961) et Zender (1973). La performance de l'orchestre est d'autant plus remarquable dans le Scherzo dont les timbres ne sont pas les plus attirants, mais dont les pupitres démontrent une efficacité rythmique et une mise en place impressionnantes. Le tempo de l'Andante moderato correspond davantage à celui d'un allegretto… De fait, la ligne mélodique s'efface tant le sentiment d'urgence prévaut. Le finale est plus convaincant parce qu'il exprime, dans l'esprit du poème lisztien et avec une agressivité toute berliozienne, la course à l'abîme.

Avant d'aborder la version 2013 du présent coffret, rappelons brièvement quelques éléments de l'interprétation la plus connue extraite de l'intégrale Hänssler Classic. Gielen creuse l'œuvre avec des tempi plus modérés. Une certaine pesanteur s'installe et on craint que le fil conducteur ne se perde dans les effets, alors que les explosions du scherzo offrent des moments passionnants. L'audace de la direction et des pupitres sûrs d'eux laisse transparaître l'harmonie à vif. L'Andante chante à pleine voix quand le finale ordonne sa masse gigantesque avec des variations de tempi absolument géniales.

Revenons au présent coffret avec la version de 2013. Voilà une surprise de taille ! En quelques secondes, le décor d'une tragédie est posé. La massivité des cordes lentes – le tempo le plus retenu qui soit et qui n'est en rien Allegro energico – l'esprit belliqueux d'un immense Revelge du Knabenwunderhorn impose une marche fantastique. On succombe à cette puissance dans laquelle les couleurs de la petite harmonie s'enchâssent dans un univers étouffant. Gielen réserve une liberté de respiration prodigieuse à ces pupitres, étirant certaines phrases, en resserrant d'autres, multipliant les digressions. L'enchaînement avec l'Andante et non le Scherzo représente un non-sens difficilement justifiable. Le Scherzo reprend le tempo quasi-identique du premier mouvement, évacuant tout sarcasme. L'Andante débute avec un galbe superbe, mais hélas, l'énergie se dilue au fur et à mesure. Le rideau se déchire enfin dans le mouvement final. Trente-quatre minutes : le record de Sinopoli avec le Philharmonia est battu ! Bien des points communs apparaissent d'ailleurs entre les deux chefs. Tous deux organisent un discours dans lequel tout espoir y est systématiquement anéanti jusqu'à la révélation de la catastrophe. Les idées foisonnent tant la polyphonie est décomposée. L'intelligence musicale de Gielen réjouit quand bien même on n'adhère pas à sa conception extrême.

En conclusion, l'équilibre magistral de la version de 1999 s'impose (Hänssler Classic). La lecture de 2013 est passionnante, mais à déconseiller en première écoute. L'interprétation de 1971 arrive en dernier choix.

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