- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Les orgues au féminin pluriel au 24ᵉ festival Toulouse les Orgues

Chaque année au début du mois d'octobre, Toulouse devient la capitale de l'orgue durant une dizaine de jours grâce au festival Toulouse les Orgues. La thématique de cette année fait la part belle aux organistes femmes, avec un premier week-end centré sur la présence des femmes dans le monde souvent très masculin de l'orgue.

Pour le concert d'ouverture, c'est une œuvre spectaculaire qui a été choisie : la transcription pour orgue à quatre mains de la Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvořák par le duo Lebrun/Leurent à l'orgue de Saint-Sernin. Il y a un grand plaisir pour deux interprètes à partager une complicité musicale en jouant à quatre mains, surtout pour un couple complice à la ville comme à la scène. C'est ce plaisir qu'ont su communiquer au public les deux organistes pour introduire cette nouvelle édition. Le compositeur a transcrit lui-même pour piano à quatre mains les quatre mouvements de sa célèbre symphonie ; les organistes n'ont plus qu'à aménager quelques octaves pour rester dans la contrainte de l'étendue plus réduite des claviers d'orgue.

Dès le premier mouvement, on apprécie la parfaite lisibilité des thèmes, jusqu'au crescendo final. Le Largo qui suit voit l'introduction de la célèbre mélodie sur la clarinette du récit, moment d'une grande poésie. Au troisième mouvement, c'est la rencontre inattendue d'un thème amérindien et d'une valse viennoise dans un scherzo qui illustre le mélange de deux influences : celle des musiques américaines et du romantisme de la Mitteleuropa. Arrive enfin la synthèse de l'allegro con fuoco qui conclue cette fresque descriptive à grands renforts de jeux d'anches. On croirait vraiment que cette symphonie est écrite pour orgue, tant le Cavaillé-Coll de Saint-Sernin offre toute la palette sonore de l'orchestre. On se rappelle alors qu'Antonin Dvořák fut organiste au début de sa carrière. et , par la clarté de leur jeu, font de cette pièce un véritable manifeste pour l'orgue symphonique, avec ses effets orchestraux.

En deuxième partie, c'est la célèbre Suite pour l'Arlésienne de Bizet et Guiraud que nous offre le duo d'organistes, dans la transcription à quatre mains de Renaud de Vilbac. Là encore, l'orgue donne l'illusion d'entendre les cuivres de l'orchestre. Le mouvement central offre un très joli thème sur les flûtes, joué tout en délicatesse. Et pour conclure cette pièce éminemment théâtrale, la célébrissime Farandole qui mélange la Marche des Rois avec une danse traditionnelle de Provence et nous entraîne dans un crescendo endiablé. En bis, deux Danses Hongroises de Brahms nous rappellent l'amitié qui liait Dvořák à son aîné. On peut s'interroger sur la floraison de transcriptions pour orgue d'œuvres symphoniques. Il semble qu'il y ait là une porte d'entrée pour amener à l'orgue un nouveau public avide de reconnaître des œuvres pour orchestre sous une forme renouvelée. Cette quête d'un nouveau public est justement le fil conducteur du festival depuis quelques années.

Polyphonies et invités surprises

Trois jours plus tard, c'est dans un tout autre monde que nous invite Yasuko Bouvard sur l'orgue classique français de Saint-Pierre des Chartreux dont elle est l'heureuse titulaire. Intitulé « Yasuko et ses amis », le programme est dédié aux grandes polyphonies pour clavier de la première moitié du XVIIᵉ siècle et s'enrichit de l'intervention de plusieurs musiciens invités dont le rôle est d'énoncer les thèmes des pièces choisies. Le baryton et chef de chœur entonne les motifs grégoriens qui infusent une bonne partie de ce répertoire. Quant à l'autre source d'inspiration des musiques de cette époque, la chanson profane, elle offre prétexte à des variations virtuoses et est soulignée par le basson de , le cornet de ou la voix de .

C'est par deux pièces anglaises à quatre mains, avec la complicité de , que l'organiste ouvre ce programme. Suivent les fantaisies d' sur la chanson Une jeune fillette telles qu'André Isoir les a transcrites pour claviers (ces fantaisies étaient destinées au consort de violes). Les couplets de la chanson sont chantés d'une voix un peu lointaine par le baryton placé dans le chœur. Le thème est ensuite repris au carillon depuis la tribune, comme un clin d'œil proposé par . Et c'est cette même chanson, renommée La Monica en Italie, qui sert de prétexte à une fantaisie pour basson d'une extraordinaire virtuosité, écrite par le compositeur allemand . déroule des diminutions tellement volubiles qu'elles obligent l'accompagnement d'orgue à ralentir quelque peu. C'est ensuite au tour de la magistrale Fantaisie de Charles Racquet d'offrir sa belle progression de diminutions, guirlandes de notes au milieu desquelles se promène le cantus firmus du Regina coeli, jusqu'à l'arrivée de la trompette de pédale. Le cornet de nous régale après cela d'un beau moment de poésie avec les diminutions de Bovicelli sur le madrigal Io son ferito lasso, qui introduit la grande fantaisie pour orgue de sur le même thème. C'est là le sommet de ce programme polyphonique, où Yasuko Bouvard fait la démonstration de son impeccable maîtrise de ce style très savant, alliée à une grande sensibilité musicale, qui font chanter chaque voix avec clarté. C'est par l'hymne Ave maris stella de Titelouze que se termine ce programme, avec le plain-chant alterné chanté par . Dans le dernier verset, qui déroule son contrepoint au-dessus d'une longue tenue de pédale, les jeux d'anches de l'orgue Delaunay-Micot-Grenzing donnent toute leur plénitude.

Le théâtre de Haendel

Le lendemain, c'est au tour de pour la conclusion de ce week-end consacré aux femmes organistes, dans un programme entièrement dédié à Haendel, entourée par son ensemble Il Convito, à l'auditorium de Saint-Pierre des Cuisines. En Angleterre, Haendel était surtout réputé comme organiste virtuose. On sait que ses concertos pour orgue étaient conçus pour servir d'entractes à ses opéras et ses oratorios, le compositeur tenant lui-même la partie d'orgue et improvisant librement des mouvements entiers. C'est dans cet esprit que a conçu un programme alternant des intermèdes instrumentaux variés avec des airs d'opéra chantés par l'excellent ténor anglais .


Après une ouverture instrumentale tirée d'un concerto grosso, un premier air extrait de Tamerlano permet d'apprécier la voix souple du ténor accompagné par un basson très en verve. quitte ensuite le clavecin pour l'orgue, avec un premier concerto en sol mineur qui s'ouvre sur un beau dialogue entre le violon de et le violoncelle d'Ageet Zweistra, tout en délicatesse. Dans les allegros, la partie d'orgue solo est éblouissante de virtuosité : Maude Gratton fait preuve d'une grande inventivité dans l'ornementation et dans les cadences improvisées. L'orgue utilisé ici est un important orgue-coffre de , qui manque un peu d'intensité sur le seul jeu de flûte mais qui sonne très bien dès que l'on rajoute des jeux. Au milieu du programme, l'air Tune your harps est un sommet de poésie : la voix dialogue avec le hautbois d'Emmanuel Laporte, accompagnés par les cordes en pizzicati. Les musiciens de l'ensemble sont d'une précision et d'une musicalité remarquables. La violoniste Sophie Gent nous offre un extrait de sonate où le violon chante magnifiquement. Dans l'air suivant, Total eclipse, l'atmosphère dramatique est rendue par des silences très expressifs et la voix du ténor se fait plus théâtrale. Le dernier concerto pour orgue, en fa majeur, permet d'apprécier toute la virtuosité et la liberté d'ornementation de Maude Gratton, qui nous offre là avec son ensemble un véritable feu d'artifice musical.

Crédits photographiques: © Alexandre Ollier. Christian Glaenzer

(Visited 737 times, 1 visits today)