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Les voyages des Passions Baroques à Montauban

La 5e édition du festival Passions Baroques s'est déroulée la première quinzaine d'octobre à Montauban et alentours autour de la thématique « À la rencontre des baroques du monde ». Bonne nouvelle, le festival retrouve une périodicité annuelle.


En partenariat avec l'association Confluences, le festival associait musique et littérature en recevant l'auteure et violoniste Léonor de Récondo. La programmation a été conçue autour des valeurs d'ouverture et de partage avec l'envie de mettre en lumière l'extraordinaire foisonnement des expressions musicales qui ont circulé en Europe et sur d'autres continents à partir des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles. Ces échanges entre Europe, Amérique latine et Extrême Orient témoignent d'une sorte de mondialisation de la culture à l'ère baroque.

L'Italie du duc d'Aiguillon

Le vendredi soir, dans le joli théâtre à l'italienne de Montauban, dédié à Olympe de Gouges, et son orchestre ont invité la violoniste , violon solo à l'orchestre Insula Orchestra de Laurence Equilbey pour un programme de musique essentiellement italienne puisant en partie dans l'étonnant fonds musical des ducs d'Aiguillon. Cet ensemble de quelque huit-cents partitions, inédites pour la plupart, conservé aux archives départementales de Lot et Garonne à Agen, a été sauvé des destructions de la Révolution par la disgrâce de ce ministre de Louis XV, qui revenu sur ses terres de Guyenne, s'adonnait à la musique. Ce fonds est familier à qui le sonde depuis des années et en a exhumé de nombreux petits bijoux, tels ce Concerto a cinque con violino principale en ut majeur de Tartini. Soutenu par les cordes aguerries des Passions, le violon de , une copie d'un Guarneri réalisée par le luthier Christian Bayon, fait merveille. Ce concerto inédit s'éloigne de la Sonate en sol mineur dite Trille du diable du même Tartini, mais l'écriture n'en est pas moins virtuose. Avec son archet ancien modèle Tartini, courbé comme un arc, attribué à Nicolas Duchaîne, elle travaille et sculpte le son comme une matière.

Atypique parmi l'immense production virevoltante et enjouée de Vivaldi, la Sinfonia pour cordes Al Santo Sepolcro en si mineur, adopte la gravité d'une méditation intime en contemplant une piéta.

Le concerto à cinq instruments avec violon principal en mi bémol majeur d'André-Joseph Exaudet est assurément une rareté de ce violoniste et violoncelliste rouennais, qui joua à l'Académie royale de musique et au Concert Spirituel. Comme souvent dans la première moitié du XVIIᵉ siècle, on sent une influence italienne mâtinée d'une élégance française. est à son affaire dans les cadences virtuoses où elle restitue les ornements que les violonistes de l'époque ne manquaient pas d'ajouter.

Dans le Concerto grosso pour quatre violons en la mineur de Valentini, développé en huit mouvements, sans Stéphanie Paulet, chaque instrumentiste a son petit moment en reprenant un thème solo qui répond au précédent. Dans l'esprit du concerto grosso, les ripiénistes deviennent solistes un instant. C'est une façon élégante de mettre en valeur la qualité de la bande de , dont la direction précise et souple est attentive à chacun.

Enfin le Concerto en la mineur BWV 1041 de JS Bach, ne fait évidemment pas partie du fonds des ducs d'Aiguillon, mais il fallait bien une pièce plus connue, voire un tube de la musique baroque à côté de ces découvertes. Composé à Köthen ou à Leipzig pour le Collegium Musicum et malgré les nombreuses transcriptions de ses propres œuvres par Bach, ce concerto fait partie avec le BWV 1042 des œuvres concertantes originale pour violon du Cantor. En une belle cohésion instrumentale, le violon de Stéphanie Paulet chante magnifiquement dans l'Andante et ça danse et ça swingue dans l'Allegro assai final.

Apothéose du motet luthérien

Le lendemain, c'est au temple des Carmes que se produit le Harvestehuder Kammerchor de Hambourg, dirigé par Edzard Burchards dans des motets des grands maîtres baroques allemands, Heinrich Schütz, Jan Pieterszoon Sweelinck et Johann-Sebastian Bach, la quintessence de l'art choral luthérien.

Reconnu comme l'un des meilleurs chœurs allemands, le chœur de chambre de Hambourg s'inscrit dans la grande tradition chorale en interprétant ces œuvres a cappella avec juste un léger soutien de l'orgue positif, même si l'on sait que les motets à huit voix de Bach doivent être doublés colla parte par les instruments. D'une forme musicales considérée comme obsolète au début du XVIIIᵉ siècle, on s'est longtemps interrogé sur l'origine et la destination des motets de Bach, pensant d'abord qu'il s'agissait d'ouvrages pédagogiques. En fait quatre d'entre eux ont été composés pour des services funèbres, à l'exception de Lobet den Herrn, un motet de louange à grand chœur, qui aurait fait partie d'une cantate disparue. Le motet ich lasse dich nicht (je ne te laisserai pas que tu ne m'aies béni) a longtemps été attribué à Johann Christoph Bach, que Sebastian admirait beaucoup. Ce motet de supplication serait en fait le tout premier motet composé par JS Bach à l'âge de 18 ans. Malgré l'écriture complexe et la grande difficulté d'interprétation de ces pièces, le chœur hambourgeois fait montre d'une homogénéité totale et d'une mise en place parfaite.


Outre des pièces majeures pour clavier, Jan Pieterszoon Sweelinck composa plus de trois cents œuvres vocales, chansons madrigaux, motets, psaumes. Il composa une bonne partie du psautier huguenot, d'où deux psaumes en français Ainsi qu'on oit le cerf bruire(psaume 42) et Or soit loué (psaume 150). Le chœur possède une maîtrise impressionnante de ce chant complexe avec des passages en imitation.

Afin de compléter l'évocation de Sweelinck, le jeune Xaver Schult interprète deux pièces à l'orgue Feuga du temple montalbanais, la joyeuse et un peu espiègle Echo Fantasia Sw WV 261, de toute beauté et le Ballo del Granduca comme une pavane solennelle.

Ce programme serait incomplet sans la figure de Heinrich Schütz, ce grand maître du premier baroque qui introduisit le style italien dans la musique allemande. Au cœur de la tradition luthérienne, s'il est peu programmé en France, il est toujours très chanté en Allemagne. Le chœur interprète un motet et deux Psaumes de David parmi les vingt-six composés par le Sagittarius.

Das ist je gewisslich wahr SWV 388 (C'est la vérité certaine) est une déploration sur la terrible guerre de 30 ans où Schütz a perdu de nombreux membres de sa famille. Pour autant, il y exprime sinon de la résignation, du moins de la confiance et de la douceur. Aus der Tiefe rufe ich SWV 25 (psaume 130) à double chœur est en quelque sorte de De profundis luthérien. Loin d'une musique désespérée, on entend au contraire une confiance inébranlable en Dieu. Dans le motet de louange Jauchzet dem Herren SWV 36 (psaume100) (Acclamez le Seigneur toute la terre), l'allégresse demeure mesurée.

Le chœur conclue ce concert dense avec le monumental motet Jesus meine Freude BWV 227 de JS Bach, une savante et complexe construction en arche mettant en miroir le célèbre choral de Johann Frank avec le passage de l'Épitre aux Romains que le prédicateur commentait dans son homélie pour les obsèques d'une patricienne de Leipzig. Comptant 465 mesures, c'est le plus développée des motets de Sebastian, d'une difficulté d'exécution redoutable, que le chœur hambourgeois maîtrise à merveille.

L'énergie des Carillons

Le soir, au Théâtre Olympe de Gouges, on découve le très expressif et dynamique ensemble baroque chilien Les Carillons dans des œuvres de compositeurs italiens et des pièces anonymes découvertes au Pérou, au Chili et dans les missions jésuites des Chiquitos en Bolivie. Avec des Pièces de Merula, dont sa fameuse Chaconne, Cima, Marcello, Corelli et Zipoli interprétées selon une énergie communicative, ils témoignent de l'étendue du style italien aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, ainsi que de son influence et son évolution en Amérique latine. Les missions jésuites ont été capitales pour cette acculturation et à travers une grande partie du continent, du Mexique au Chili, des musiciens et compositeurs locaux se sont appropriés ce style dans leurs propres compositions.

Après le travail fondateur des pionniers des Chemins du baroque, des étudiants du département de musique de la faculté des Arts à l'université du Chili ont décidé de former un ensemble de musique ancienne en 2000. Commençant par le luth et la vihuela, ils élargirent rapidement leur instrumentarium au théorbe, la guitare baroque, puis le clavecin et l'orgue, la flûte à bec, la viole de gambe, le violon baroque, la dulciane et le basson baroque, jusqu'à devenir presque vingt ans plus tard, des spécialistes reconnus des musiques des missions et des cathédrales latino-américaines. Emmenés par la guitare baroque de Rodrigo Diaz, les cinq musiciens à la bonne humeur communicative font pétiller ces pièces joyeuses d'une énergie rare. On apprécie particulièrement le jeu vitaminé du violoniste Raùl Orellana, qui transcende une canzon de Cima, ainsi qu'une sonate parodiée d'après Corelli et une savoureuse Sonata Chiquitiana issue des archives des missions Chiquitos de Bolivie. Ils gratifient le public qui leur fait un triomphe, d'une tonique Battaglia de Falconieri.

L'art du pansori coréen

À l'auditorium du conservatoire, le dimanche après-midi était consacré au pansori coréen, cet art du récit chanté, apparu au XVIIᵉ siècle, donc contemporain de la période baroque. Accompagné d'un joueur de tambour qui scande et souligne les phrases, l'actrice ou l'acteur improvise par le chant et le dire sur des textes et des histoires traditionnelles, mêlant expressions littéraires et dialecte rural. Cette technique qui exige un long apprentissage, se transmet oralement depuis quatre siècles. Dans un premier temps Han Yumi et Hervé Péjaudier, spécialistes des arts coréens, expliquent cette forme poétique et lyrique pour le moins exotique à nos oreilles. Puis accompagnée au tambour par le jeune , la chanteuse virtuose Min Hye-sung a interprété Le Dit de Hungbo, l'un des cinq pansoris classiques, dans une version abrégée d'une heure, car l'original, qui n'omet aucun détail, dure de six à huit heures… Malgré la déclamation et le chant très expressifs, le public suit l'histoire sous-titrée. À travers l'histoire de Hungbo chassé par son frère Nolbo, on est transporté dans les multiples variations de l'âme coréenne passant du rire aux larmes, du trivial au fantastique, de la farce à l'élégie. À la fois populaire et raffiné, le pansori se fonde sur la notion du Han, un sentiment d'une tristesse profonde, difficilement traduisible, que l'on peut rapprocher de l'atmosphère du fado, du spleen, du flamenco ou de la mélancolie. L'exercice virtuose est très exigeant pour la voix, mais Min Hye-sung réalise cette performance de la façon la plus naturelle qui soit.

La Donna Barocca

Retour au Théâtre Olympe de Gouges pour le concert de clôture avec l'ensemble lyonnais, , consacré aux compositrices italiennes du XVIIᵉ siècle. On s'étonne encore aujourd'hui qu'au sortir du XVIᵉ siècle au platonisme profondément masculin, des femmes, certes issues de l'aristocratie, aient pu composer de la plus belle des manières, être reconnues par leurs pairs et publier leurs œuvres. Tel est le destin de , dont on fête cette année le 400e anniversaire de la naissance, , et , qui ont bénéficié des milieux humanistes de la République de Venise et des cours de Florence, de Mantoue ou de Ferrare. C'est aussi dans cette région du nord de l'Italie qu'à cette époque, l'art musical a évolué de façon considérable avec l'invention de la monodie et de la basse continue, de l'opéra, de l'oratorio et de la musique spécifiquement instrumentale.

Le programme s'articule autour de trois lamenti de , le célèbre Eraclito amoroso de 1651, Parla alli suoi pensieri (mes pensées pourquoi superez-vous ?) de 1657 et Lagrime mie, a che vi trattenete (mes larmes, pourquoi vous retenez-vous) de 1659, chantés avec beaucoup de présence par la soprano canadienne . Dans la lignée des madrigaux de Monteverdi, dont on sent une forte influence, ces pièces montrent les formidables capacités musicales de dans la monodie accompagnée où l'individu extériorise ses affects, même les plus terribles.

Les pièces de ses consœurs ne sont pas en reste à commencer par les douces canzonettes de , fille du compositeur Giulio Caccini, elle connut une renommée jusqu'à la cour de France où elle fut invitée par la reine Marie de Médicis et fut la première femme à compose un opéra. Quelques décennies plus tard, la vénitienne parviendra aussi à la cour de Louis XIV à Versailles après avoir abandonné un mari violent et ses enfants en s'enfuyant avec un guitariste. Son unique air en français Ah que l'absence est un cruel martire se rapproche de l'air de cour très en vogue au XVIIᵉ siècle en France. Sa cantate Lamento della Vergine est en fait un Stabat Mater en italien avec un dialogue entre la Vierge et Jésus, à la fois profond et dramatique.

Également issue d'une grande famille de Novare, passe l'essentiel de sa vie au couvent des Ursulines de cette ville dont elle devient la mère supérieure. Au-delà de la vie religieuse qu'elles suit scrupuleusement, elle se consacre à la composition et laisse par moins de deux cents partitions,  dont la moitié sont dédiées à la Vierge. Appelée la « Muse de Novare », elle aborde aussi bien les grandes formes vocales (messes, motets concertants) que les petites (motets de une à trois voix), y compris le domaine instrumental. Son recueil de sonates op. 16 d'une grande virtuosité est le premier publié par une femme. Grâce à la vie religieuse par laquelle elle n'avait pas à plaire à un mécène, elle bénéficie d'une grande liberté qui lui permet une riche inventivité. Le concert de l'Hôtel Dieu a choisi d'insérer le lamento Lagrime mie, a che vi trattentete de Barbara Strozzi entre les cinq mouvements de sa belle Sonata duodecima op. 16 n° 12.

Pour achever ce programme dense et riche en émotions, entonne la jubilatoire Vendetta sur un rythme de tarentelle : « La vengeance est une douce passion, le mépris vaut le mépris, se dédommager est un grand plaisir »…

Aux anges, le public en redemande et l'ensemble le gratifie de la joyeuse et frénétique tarentelle napolitaine anonyme La Cicernella suivie de Carpinese, une chanson traditionnelle des Pouilles.

Crédits Photographiques : © JJ Ader ; © Alain Huc de Vaubert

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